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Les 4 Temps du Management - Réinventer le Management
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Les 4 Temps du Management

Chroniques impertinentes & constructives

Quelle formation dans les grandes écoles pour construire un monde durable ?


Quelle formation dans les grandes écoles pour construire un monde durable ?

Le silence des élites face à l'anthropocène

L'Anthropocène désigne une nouvelle ère géologique marquée par l'impact significatif des activités humaines sur la Terre. Son apparition, soulève des questionnaments quant au rôle des élites dans la crise environnementale actuelle.

Voici quelques points clés pour comprendre cette responsabilité 

Les élites, souvent à des postes de direction dans les entreprises, la politique, ou les institutions financières, ont une influence considérable sur les décisions économiques et politiques. Ces décisions peuvent avoir des impacts majeurs sur l'environnement, l'économie et le social. 

Historiquement, l'éducation dans les grandes écoles a été axée sur la  rentabilité économique à court terme et la compétitivité prix. L'époque n'était pas si lointaine où le kost-killer au service de la valeur actionnariale constituait la référence.  Les politiques économiques encouragées par les politiques publiques allaient également dans le même sens inspirées il est vrai par de nombreuses études réalisées par des chercheurs reconnus. 

En chassant éperdumment les coûts, les cost - killers ont souvent incité les entreprises à délocaliser leurs usines en détruisant plus de 50% des emplois dans le secteur industriel, incitant à intensifier le travail, baissant régulièrement les cotisations sociales et pour terminer en imposant  des stratégies de volume destructrices pour la planète.  

Quelques travaux, ont tenté de mettre en évidence l'urgence d'opérer une redirection  vers des stratégies plus créatrices de valeur sans que la puissance du paradigme productiviste puisse être remis en question. Un récent article paru en 2022, " Comment les stratégies low cost à la française ont augmenté l'intensité et abîmé le travail? " écrit par Bruno Palier rattaché au Laboratoire Interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques confirme que ces premières intuitions étaient pertinentes. 

Notre précedent président, sans doute inspiré par les élites du moment illustrait bien cette orientation lorsqu'il affirmait avec  conviction, qu'il fallait  "Travailler plus pour gagner plus" sans se douter sans doute qu'il soutenait un modèle de valeur fondé sur la quantité d'heures travaillées à l'évidence à bout de souffle. 

Il est curieux, aujourd'hui, de constater que les élites sont très discrètes, voire totalement amnésiques sur les théories qu'elles ont pourtant défendues avec acharnement. On peut s'étonner de leur silence à propos de ce qui représentait la doxa managériale de cette époque.

Celle - ci a été d ailleurs remise en question par un groupe étudiants d'Agro Tech qui sont allés jusqu'à mettre en doute  les fondamentaux de  la formation qu'ils avaient reçue lors de la cérémonie de leur diplômation tandis que d'autres invitaient leurs congénères à boycotter les entreprises polluantes.  En 2018, un manifeste sur le Réveil écologique a été signé par plus de 33 000 étudiants de grandes écoles ou uninversités. 

Cependant, bien  que les élites formées dans les grandes écoles aient historiquement contribué à des modèles de développement non durables, elles détiennent le pouvoir de  conduire des changements positifs pour aborder les défis de l'Anthropocène. C'est pourquoi, il est important de se demander ce que doit être aujourd'hui leur formation.

Grandes Écoles : Les coulisses de l'élitisme français Film documentaire sociopolitique


Quelle formation pour les futurs managers pour qu'ils participent à la construction d' un monde habitable et durable ?

Pour former des leaders de demain capables de construire un monde durablement habitable, il est essentiel d'adopter une approche multidisciplinaire et intégrée dans l'éducation. Voici quelques disciplines clés et contenus à envisager :
 
  • 1. Écologie et sciences environnementales :
   - Compréhension des écosystèmes, de la biodiversité et des processus naturels.
   - Étude du changement climatique, de ses causes, impacts et solutions.
   - Approches de la durabilité, de la conservation et de la gestion des ressources naturelles.
 
  • 2. Économie durable et finance Verte :
   - Principes d'économie circulaire, économie basée sur la régénération et la durabilité.
   - Finance verte et investissement durable, y compris les normes ESG (environnementales, sociales et de gouvernance).
   - Modèles économiques innovants pour la durabilité.
 
  • 3. Anthropologie, éthique et philosophie :
   - Anthropologie des imaginaires
   - Éthique environnementale et responsabilité sociale.
   - Philosophie du développement durable et justice intergénérationnelle.
   - Réflexion critique sur les valeurs, les choix et les priorités sociétales.
 
  • 4. Politique et gouvernance:
   - Politiques publiques pour la durabilité, législation environnementale.
   - Gouvernance globale et coopération internationale sur les enjeux environnementaux.
   - Leadership éthique et prise de décision responsable.
 
  • 5. Technologie et innovation :
   - Technologies vertes et innovations pour la durabilité.
   - Utilisation responsable et éthique des technologies émergentes.
   - Résilience et adaptation aux changements climatiques grâce à l'innovation.
 
  • 6. Éducation multiculturelle et globale
   - Compréhension des diverses perspectives culturelles sur l'environnement et le développement.
   - Études de cas mondiales sur la durabilité et les réponses aux défis environnementaux.
   - Collaboration interculturelle et compétences en communication.
 
  • 7. Développement personnel et leadership :
   - Développement de compétences en leadership éthique et responsable.
   - Renforcement de la pensée critique, de la créativité et de l'innovation.
   - Formation à la résolution de problèmes complexes et à la prise de décision en situation d'incertitude.

C'est en  intégrant ces disciplines dans l'éducation des leaders de demain, avec un accent sur l'apprentissage interdisciplinaire, collaboratif et axé sur les problèmes, qu'il sera possible de les préparer  à relever les défis du développement durable et à contribuer activement à la construction d'un monde habitable pour les générations futures.

Quels changements envisagés dans l'enseignement des sciences de gestion ? Prolègomène pour un nouveau référentiel de formation...

Ce tableau offre une vue d'ensemble des changements nécessaires dans les programmes d'enseignement des grandes écoles de gestion pour répondre aux défis de l'Anthropocène et promouvoir un développement durable. Ces propositions visent à équilibrer les compétences techniques avec une conscience accrue des responsabilités sociales et environnementales.

Pourquoi les grandes écoles ont elles des difficultés à opérer rapidement les changements pédagogiques nécessaires ?

Les difficultés rencontrées par les grandes écoles pour opérer des changements pédagogiques significatifs vers plus de durabilité et de responsabilité sociale peuvent s'expliquer par plusieurs facteurs :
 
  • Tradition et Résistance au Changement : Les grandes écoles ont souvent des traditions éducatives bien établies. Changer des disciplines qui ont été en place pendant des décennies peut rencontrer une résistance, que ce soit de la part du corps professoral, des anciens élèves, ou même de l'administration.
     
  • Alignement avec les Attentes du Marché : Les programmes sont souvent conçus pour répondre aux demandes actuelles du marché du travail. Les entreprises recherchent des compétences spécifiques, et les écoles peuvent craindre que des changements radicaux dans leur programme réduisent l'employabilité de leurs diplômés.
     
  • Ressources et Investissements : Mettre en œuvre des changements significatifs dans les programmes nécessite des ressources considérables, y compris la formation du corps enseignant, le développement de nouveaux cours, et parfois même la construction de nouvelles installations.
     
  • Mesure de la Performance et Classements : Les écoles de gestion sont souvent évaluées et classées en fonction de critères qui ne valorisent pas nécessairement les aspects de durabilité et de responsabilité sociale. Elles peuvent craindre que la modification de leurs programmes impacte négativement leur classement et leur réputation.
     
  • Manque de Consensus sur les Contenus: Il peut y avoir un manque de consensus sur ce que devraient être les nouveaux contenus pédagogiques. La durabilité et la responsabilité sociale sont des domaines vastes et en constante évolution, et il peut être difficile de déterminer les éléments les plus pertinents à intégrer dans le curriculum.
     
  • Inertie Institutionnelle : Comme dans toute grande organisation, il y a souvent une inertie institutionnelle. Les changements nécessitent une volonté collective, un leadership fort, et souvent du temps pour être pleinement réalisés.
     
  • Pressions Externes: Les écoles peuvent également faire face à des pressions de la part des bailleurs de fonds, des industries, et d'autres parties prenantes qui peuvent avoir des intérêts différents ou même opposés en matière de changement curriculaire.
     
Pour surmonter ces défis, il est essentiel que les grandes écoles reconnaissent l'importance de ces changements non seulement pour leurs étudiants et leur communauté, mais aussi pour la société dans son ensemble. Cela nécessite un engagement à long terme envers l'innovation pédagogique et la responsabilité sociale.

Décoloniser les grandes écoles du paradigme productiviste

La décolonisation des grandes écoles du paradigme productiviste, qui privilégie la production et la croissance économique souvent au détriment de la durabilité environnementale et sociale, est un processus complexe et multidimensionnel. Voici quelques stratégies pour y parvenir 
 
  • 1. Révision de la doxa managériale :
   - Intégrer des cours qui remettent en question le productivisme et encouragent une réflexion critique sur les modèles économiques actuels.
   - Enseigner des alternatives au productivisme, telles que l'économie circulaire, la durabilité, et l'économie sociale et solidaire.
 
  • 2. Promotion de la pensée critique :
   - Encourager les étudiants à analyser et à critiquer les modèles économiques et commerciaux dominants.
   - Organiser des débats et des conférences sur les impacts du productivisme et sur des approches alternatives.
 
  • 3. Collaboration avec des acteurs divers :
   - Établir des partenariats avec des ONG, des entreprises sociales, et d'autres institutions qui travaillent vers la durabilité et l'équité.
   - Intégrer les questions du développement des territoires et les politiques publiques à ce sujet
   - Inviter des intervenants de divers horizons, y compris des pays du Sud, pour présenter des perspectives différentes sur le développement et la croissance économique.
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  • 4. Recherche axée sur la durabilité :
   - Encourager et financer la recherche sur des sujets liés à la durabilité, à l'économie verte, et aux modèles économiques alternatifs.
   - Promouvoir des publications et des projets de recherche qui défient le paradigme productiviste.
 
  • 5. Formation des enseignants :
   - Former le corps professoral sur les enjeux de durabilité, d'équité, et sur les alternatives au productivisme.
   - Encourager les enseignants à intégrer ces concepts dans leurs cours, quel que soit le sujet.
  - Consolider leurs compétences dans le management de projets innovants
 
  • 6. Engagement Étudiant :
   - Soutenir les initiatives étudiantes axées sur la durabilité, l'innovation sociale et l'économie alternative.
   - Inclure les étudiants dans les processus de décision concernant les changements pédagogiques et institutionnels.
 
  • 7. Réorientation des objectifs Institutionnels:
   - Redéfinir les objectifs des écoles pour inclure explicitement la responsabilité sociale et environnementale.
   - Mesurer le succès non seulement en termes de résultats économiques, mais aussi en termes d'impact social et environnemental.
 
  • 8. Repenser les modes de consommation et les stratégies low cost 
   - Questionner la culture de la consommation excessive et la poursuite de la croissance économique à tout prix.
   - Promouvoir des valeurs de minimalisme, d'équité, et de consommation responsable.

En faisant cet effort de redéfinition des principes qui ont jusqu'à présent inspirés les sciences de gesion,  les grandes écoles peuvent jouer un rôle crucial dans la formation d'une nouvelle génération de leaders capables de remettre en question le paradigme productiviste et de travailler vers un avenir plus durable et équitable.

Les grandes écoles au croisement d'un changement de paradigme


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