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Chroniques impertinentes & constructives

Psychanalyse et Management : "Le but ultime du management c'est sa cessation' par Loick Roche


Psychanalyse et Management : "Le but ultime du management c'est sa cessation' par Loick Roche
Il n’y a pas de rapport manager-salarié. Plus précis, il n’y a pas de rapport simple et immédiat entre manager et salarié. Une part des hommes et des femmes qui font l’entreprise demeurera toujours, pour le manager, et inversement, impossible à formuler.

Naturellement, affirmer ceci vaut précaution. Ce qui importe, comme pouvait le dire Lacan, dans ce qui se joue entre chacune et chacun, c’est ce qui est proprement articulé dans le discours de l’inconscient de chacun des acteurs. Or, si l’inconscient a affaire au désir, comme le précise Lacan, c’est à ceci près que les rapports, qui mettent en scène le désir — ce à quoi n’échappe évidemment pas la relation managériale — ne peuvent en aucune façon s’y inscrire.

La galaxie des singularités humaines

Ce qui se joue entre les femmes et les hommes qui font l’entreprise déborde toujours les mots, excède les procédures. Et c’est précisément là que réside toute la richesse du management : dans cette part irréductible d’humanité, de complexité, de singularité.

Car s’il est vrai qu’une part de l’être reste inarticulable — ce que le discours de l’inconscient, au sens de Lacan, travaille silencieusement — c’est précisément cette part qui donne toute sa substance à l’acte managérial. Le désir, moteur fondamental de l’être humain, irrigue aussi les relations de travail. Et le management, loin de vouloir et de devoir tout maîtriser, s’épanouit lorsqu’il apprend à composer avec cette dynamique des désirs, des attentes, des trajectoires.

 
Les lois invisibles du cosmos managérial
 
« De la contingence à la nécessité, c’est là le point de suspension à quoi s’attache toute relation » (Lacan). Voilà pourquoi le management ne saurait être une mécanique froide. À l’image de l’univers, il est fait de forces invisibles et de lumières perceptibles. Il existe comme la matière existe : par ses effets.
 
Le danger n’est pas tant dans la gravité du management que dans son possible enfermement sur lui- même, sa tentation de tout absorber, de tout centraliser. Non pas tout comprendre, tout contrôler, mais accepter l’altérité irréductible de l’autre. C’est en acceptant ce mystère que le management gagne en consistance, en puissance et en fécondité. Nommer les choses, c’est déjà leur donner corps. Sortir des concepts figés, des lieux communs du commandement, c’est là la véritable modernité
 
managériale. C’est en pensant positivement le management qu’on lui donne pleinement sa réalité. Par nature, le management porte aussi une vocation lumineuse : celle de révéler, d’émanciper, d’insuffler de la dynamique.
 
Gravité et lumière : les deux astres du management
 
Dès lors, et comme je l’écrivais dans L’Antimanagement (L’Harmattan), le management, à l’image de la matière, peut se manifester:
 
- Par sa gravité bienfaisante. Comme la matière maintient la cohésion des galaxies, le management agit par son champ d’attraction. Il rassemble les énergies dispersées, donne du sens aux trajectoires individuelles, oriente les mouvements collectifs. Il n’impose pas, il fédère. Ce champ gravitationnel, perceptible dans la densité des interactions, dans la vitalité des échanges et la construction des projets communs, est la manifestation de sa présence.
 
- Par sa lumière créatrice. Comme les étoiles illuminent l’univers, le management brille par la vision qu’il porte, l’énergie qu’il diffuse, la confiance qu’il génère. Cette lumière éclaire les chemins, rend visibles les potentialités et nourrit l’engagement. Même si certaines zones de l’univers restent obscures, il appartient au management d’être cette source de clarté, de chaleur et de vie. Pour tout dire, créer des lignes de vie.
 
L’art stellaire du management vivant
 
Réfléchir au management, c’est moins en faire une science rigide qu’un art du vivant, un jeu d’équilibres subtils, une philosophie de l’altérité active. Comme la philosophie qui exige de s’extraire parfois de la pure philosophie (Deleuze et Guattari), le management se pense mieux quand on accepte qu’il ne soit pas entièrement saisissable. Jusqu’à énoncer que le but du management, c’est sa cessation. Ce qui ne veut pas dire sa disparition, mais bien son accomplissement. Non pas cesser de guider, mais accompagner autrement. Le jour où l’on passe du « voici ce que tu dois faire » au « que puis-je faire pour t’aider ? », le jour où l’on se fait employé de son employé, le management atteint alors l’une de ses formes les plus abouties : celle de l’alliance. Peut-être l’un des plus beaux mots de la langue française. Accord, anneau, tables de la loi. « Esprit religieux sans la foi [...] première civilisation sans valeur suprême » (Malraux).
 
Un univers en expansion
 
Là est la véritable destination du management : devenir le cadre vivant où les relations se déploient, où les talents s’expriment, où les finalités communes émergent. L’univers du management n’est pas un trou noir, c’est un cosmos vibrant de forces visibles et invisibles.
 
C’est dans cette tension féconde entre gravité et lumière qu’il puise et donne de l’énergie, premier KPI dans sa relation aux autres. C’est dans sa destination, là où ça arrive, qu’il prend tout son sens.

Présentation de l'auteur


Diplômé de l'École supérieure des sciences économiques et commerciales, il est docteur en philosophie (Grenoble II), en psychologie (Paris IV) et titulaire d'une habilitation à diriger des recherches en sciences de gestion. Il commence sa carrière en tant que consultant en ressources humaines et en organisations en 1988 et fonde un cabinet de conseil dans ce domaine. En 1995, il intègre Grenoble École de management comme enseignant en recherche, puis en devient le directeur adjoint en 2004 avant d'en prendre la direction en juillet 2012 succédant alors à Thierry Grange. En 2022 il quitte ses fonctions de Directeur Général de GEM pour rejoindre le groupe IGS en tant que Directeur Général Adjoint et Directeur académique

Comment lire Lacan aujourd'ui ? (France Culture)


 

Bibliographie de l'auteur

 


Commentaire de la rédaction


La référence à Lacan dans le texte de Loïck Roche est d’une rare richesse pour penser autrement le management contemporain. Voici une analyse approfondie de cette proposition, structurée autour de trois axes :
 
1. L’apport conceptuel de Lacan à la compréhension de la relation managériale,

2. Les implications pour la pratique managériale,

3. Une mise en perspective critique.
 

1. L’apport conceptuel de Lacan : une lecture du management à partir du désir et de l’inconscient

Le texte s’ouvre sur une thèse audacieuse : « Il n’y a pas de rapport manager-salarié. » Cette formule, reprise de Lacan (qui affirmait : « il n’y a pas de rapport sexuel »), souligne que la relation managériale n’est jamais immédiate, complète, ni pleinement réciproque. Elle est toujours médiatisée par ce que Lacan appelle le discours de l’inconscient, c’est-à-dire une articulation du sujet par son désir, ses manques, ses signifiants propres.

Dans cette optique :

Le désir du manager ne se résume pas à une volonté de performance ou de contrôle. Il est aussi traversé par des représentations, des peurs, des fantasmes.

Le salarié, quant à lui, n’est pas un objet du management, mais un sujet de désir, de reconnaissance, de projection.

Ce cadre lacanien vient rompre avec toute vision utilitariste ou behavioriste de la relation de travail. Il place le désir comme moteur des interactions professionnelles, mais aussi comme limite : le désir ne se laisse pas réduire à un processus normé ou rationnel.

2. Les implications managériales : gravité, lumière et altérité

Loïck Roche mobilise ensuite des métaphores astrophysiques : trous noirs, gravité, lumière, pour articuler une vision du management où coexistent :

- La gravité bienfaisante : c’est la fonction de structuration, d’organisation, de cohésion des équipes. Le manager attire, donne du poids, du cadre, du sens collectif.

- La lumière créatrice : le manager éclaire les trajectoires, ouvre des possibilités, nourrit les engagements. Il ne guide pas par l’injonction mais par la révélation des potentialités.

Ces deux dimensions rappellent les tensions constitutives du désir selon Lacan : entre le manque (ce qui attire) et la présence (ce qui éclaire), entre le réel (ce qui résiste) et le symbolique (ce qui structure). Le manager devient alors un médiateur d’altérités irréductibles, plutôt qu’un simple exécutant de processus.

L'auteur va jusqu’à proposer une finalité paradoxale : « Le but du management, c’est sa cessation. » C’est-à-dire que l’acte managérial atteint son accomplissement lorsqu’il n’a plus besoin de se manifester de façon autoritaire ou directive, mais devient soutien, accompagnement, alliance.

3. Mise en perspective critique et apport académique:

Cette vision post-managériale, presque éthique-spirituelle, du management s’inscrit dans une lignée de pensée managériale inspirée des sciences humaines :

Elle rejoint la philosophie du care, par l’idée d’attention à l’autre, d’écoute du désir singulier.

Elle croise les apports de la psychanalyse institutionnelle (notamment René Lourau et Georges Lapassade) sur les logiques inconscientes qui traversent les organisations.

Elle fait écho aux travaux de Pierre-Jean Benghozi ou Vincent de Gaulejac sur les impasses du management contemporain.

Toutefois, on pourrait objecter que cette approche, bien que brillante sur le plan symbolique, néglige les rapports de pouvoir, les inégalités structurelles, et les conditions matérielles de travail. En s’appuyant sur Lacan sans intégrer les critiques sociales (comme celles de Bourdieu ou Boltanski & Chiapello), elle risque de rester dans une forme de poétique managériale désincarnée.

La proposition de Loïck Roche, éclairée par Lacan, enrichit profondément la compréhension du management comme relation désirante, incomplète, symboliquement médiée. Elle invite à renoncer à une toute-puissance gestionnaire pour entrer dans une posture d’alliance et d’humilité, face à l’énigme de l’autre.

Le management, en ce sens, ne se contente plus de prescrire des actes ; il devient un art du lien, où l’écoute de l’inarticulable constitue le véritable levier d’action.

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