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Les 4 Temps du Management - Réinventer le Management
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Les 4 Temps du Management

Futurologie

Obtention d’un premier emploi : focus sur l’impact de la classe sociale et des diplômes


Chers managers,  
 

Vous êtes-vous déjà retrouvés confronté dans l’exercice de vos fonctions, face à un dilemme du recrutement d’un jeune diplômé ? Nous nous questionnons aujourd’hui sur l’impact de la classe sociale et du diplôme universitaire sur l’obtention d’un premier emploi.   
 

La classe sociale se définit par un groupe d’individus ayant une place historiquement déterminée au sein de la société et se distinguant par son mode de vie, son idéologie. Toute définition purement économique des classes sociales est réductrice, car celles-ci occupent une place déterminée non seulement dans les rapports de production et la production sociale, mais aussi dans les rapports de pouvoir, dans les relations culturelles... (Larousse 2022).  
 

La position sociale et donc les classements historiquement définis par l’idéologie Marxiste oppose la classe la plus aisée, auparavant souvent nommée “bourgeoisie”, aux classes intermédiaires, où petite et moyenne bourgeoisie. Vient ensuite la classe ouvrière, en bas de l’échelle sociale.  
 

Qu’en est-il de nos jours ? Est-ce que la classe sociale et le diplôme universitaire jouent encore un rôle prépondérant face à la méritocratie ? Est-ce que notre société a évolué ? 
 

Pour répondre à cette question, nous avons conduit une étude fondée sur une recherche qualitative auprès de 7 personnes issues de milieux différents, en recherche d’emploi, en études supérieures ainsi que des enseignants. Ainsi, nous allons donc observer dans un premier temps, si l’obtention d’un diplôme universitaire est contraire à la devise de la République française en termes d’égalité et dans un second temps, si les diplômes conditionnent l’obtention d’un premier emploi.  


L’obtention d’un diplôme universitaire, contraire à la devise de la République française en termes d’égalité ?

Vous avez sûrement déjà entendu parler des théories de Bourdieu et Pasquali sur la réussite sociale et l’héritocratie 
 

En effet, Bourdieu a toujours cherché à mettre en lumière la réalité des rapports sociaux. Il a très souvent démontré que notre société accorde une place toute particulière à l’héritage des valeurs au sein des classes sociales. Par ailleurs, l’école serait une instance clé d’attribution des positions sociales, où deux variables conditionneraient la réussite : les revenus et le capital culturel. Cette institution censée assurer la mobilité et la promotion sociale contribuerait à la reproduction et à la légitimation des inégalités sociales. Mais Bourdieu n’est pas le seul auteur dans ce domaine à placer les institutions scolaires dans cette position. (Source : Héritage et transmission dans la sociologie de Pierre Bourdieu).  
Très dernièrement, Pasquali dans son ouvrage “Les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite” a démontré que la méritocratie en France n’est pas véritable. Dans le système scolaire français, le mérite appartiendrait d’abord aux héritiers de classes sociales favorisées. Ainsi, cette classe sociale aisée continuerait encore aujourd’hui de créer des frontières sociales fortes. Pasquali pense que les étudiants en grande école (ENA, ENS, ou encore Sciences Po) qui sont héritiers ont plus de facilités à contourner le système pour atteindre leurs objectifs que les étudiants boursiers qui doivent faire leurs preuves et qui peinent souvent à s’en sortir.  

En 2008, les enfants de cadres représentaient 15% des entrants en sixième, ils constituaient 55% des inscrits en première année de classes préparatoires. Inversement, les enfants d’ouvriers représentaient 38% des entrants au collège et ne formaient que 9% des entrants en classes préparatoires aux grandes écoles (Lemaire, 2008).  
 

Mais qu’en est-il vraiment ? D'après Romain, un interrogé de 25 ans, le statut des parents et le bagage culturel n’influenceraient pas la scolarité et le futur d’un étudiant : “Je connais un papa qui n’a pas eu la chance d’aller à l’école, qui a des enfants aujourd’hui et qui fait tout pour qu’ils réussissent. Il leur paye les meilleures écoles”.  
 

Prenons d’ailleurs l’exemple de Steve Jobs qui a fait fortune en créant l’entreprise Apple, ce dernier, issu d’un milieu social défavorisé à pourtant tout réussi... Ses parents biologiques, un étudiant syrien et une jeune catholique américaine sont contraints de faire adopter leur bébé car le père de la jeune femme souhaite la déshériter si elle se marie avec un non-catholique. Il est adopté par une famille modeste américaine et suit un cursus scolaire ordinaire, il étudie à Portland dans l’université du Reed College où il suit des cours en auditeur libre pour expérimenter en parallèle dans le domaine de l’électronique. 
 

En France, le système d’admission pour les études supérieures se fait via parcoursup pour rentrer dans les universités publiques et souvent sur concours pour les universités privées. Les universités publiques sont souvent majoritairement gratuites et les privées sont quant à elle, payantes. Il est important de faire la différence entre ces deux-là car comme nous ont dit certains interrogés, cela cause une disparité. Les écoles de commerce sont souvent ressorties comme cause d’inégalité par leur coût d’entrée. En effet, notamment, les écoles de commerces et d’ingénieures, par leur coût, visent une certaine classe sociale et cause des inégalités et ne prônent pas forcément la méritocratie. Yasmine, en stage chez Sanofi en tant qu’assistante contrôleur de gestion nous a dit que en effet certaines écoles favorisaient une certaine classe sociale en nous citant HEC, l’EDHEC ou l’ESSEC : “Certes, une présélection est bien exigée avant même de passer l’entretien mais prenant en considération les coûts de ces formations si tu n’appartiens pas généralement à une certaine classe sociale, tu ne pourras pas y accéder. C’est une catégorie sociale bien définie.” 
 

En France, le système cherche à pallier ces inégalités à l’accès aux études supérieures avec le système des bourses mais comme nous le disait Nathan : “Une famille d’une classe populaire aura plus de difficultés pour scolariser leur enfant dans une école privée même s’ils touchent des bourses, l’accession est compliquée.” Ce système est sûrement encore à revoir. D’autres facteurs d’inégalités sont également ressortis comme le lieu géographique des universités qui sont souvent dans les grandes villes et non accessibles à tout le monde en termes de logement et de coût de la vie en général. Clara, conseillère pôle service chez Darty, nous expliquait : “A mon humble avis, l’égalité des chances n’existe pas. C’est utopique de croire que l’on est tous égaux face aux admissions en études supérieures. On est restreint que ce soit par les concours d’entrée, les écoles payantes, la localisation géographique même des écoles qui sont souvent dans les grosses métropoles. Il y a énormément de raison à cette inégalité d’accessibilité.” 
 

Nous avons souhaité savoir si, au-delà de la classe sociale, quels étaient les facteurs qui influençaient l’obtention d’un diplôme universitaire. L’argent, la situation familiale, l’accompagnement des parents et la classe sociale ressortent dans énormément d’entretiens. Or, un des facteurs de réussite reste également la motivation de chacun. “Parce que je trouve qu’à la fin cela dépend de chacun, je ne crois pas que cela dépend de ton appartenance à une certaine classe.”, Yasmine.  


L’origine du diplôme conditionne-t-il le premier emploi ?

En fait, à quoi sert un diplôme ? Depuis le début de leur scolarité, les enfants ont pour but de bien travailler à l’école pour avoir un métier épanouissant. Le raccourci est court mais réel. Les parents insistent sur le fait que leur enfant doit bien travailler à l’école pour pouvoir faire le métier qu’il souhaite. 

 

Techniquement, le diplôme joue un triple rôle. Tout d’abord, il protège du chômage, ou du moins il diminue les risques de se retrouver sans emploi. En 2021, selon l’INSEE, 14,4% des personnes n’ayant aucun diplôme étaient au chômage. Ensuite, le diplôme facilite l'accès aux emplois les plus qualifiés. Enfin, il permet d’atteindre les emplois les mieux payés.   

 

Il y a donc un désir, souvent inculqué par les parents, d’accéder au niveau de diplôme le plus élevé pour avoir le choix du métier exercé. Il faut éviter de faire un métier par défaut. Ce mode de pensée est transmis aux enfants dès l’école primaire.  

 

Alors, il y a une corrélation évidente entre le diplôme obtenu et le premier emploi car l’étudiant choisit dans quelle filière il s’oriente, et donc dans quel domaine il veut exercer ce métier (en lien avec ses études). Par exemple un BTS assurance va dans la plupart des cas continuer dans cette voie. Rares sont ceux qui changent complétement de voie et vont travailler dans un domaine complétement différent de celui en lien avec les études faites par l’individu. C’est une question de goût, d’habitude, d’ambition, de choix de vie, et de logique aussi...  

 

Mais attention, avis aux recruteurs : ce n’est pas parce qu’un candidat n’a pas une formation scolaire / un cursus académique conforme aux attentes du poste requis que son profil est à jeter !   

 

L’époque actuelle peut être résumée très simplement. Les technologies et la digitalisation prennent une place très importante. L’accès à l’information et à la formation en ligne n’a jamais été aussi simple, et dans des domaines très variés : cuisine, jardinage, bricolage.... Il est facile de développer des compétences et d’être à l’aise dans un domaine en particulier. On observe beaucoup de changements de voies au sein d’une carrière professionnelle, il y a une forte mobilité. Cette tendance n’est pas près de changer. Les diplômes peuvent alors être remis en question : à quoi cela sert d’aller faire des études supérieures si je peux avoir la connaissance à portée de clics ?   

 

Il y a aussi un cliché omniprésent sur les genres, avec un clivage entre les métiers manuels et intellectuels. Les sociologues Jean-Paul Caille et Sylvie Lemaire (2002) ont montré qu’à caractéristiques scolaires et sociales comparables, les filles choisissent plus souvent, et presque exclusivement, des spécialités tertiaires et beaucoup moins des sections industrielles que les garçons.   

 

Pour être très terre à terre, il y a peu d’hommes secrétaires et peu de femmes mécaniciennes.  

 

De notre part, nous avons décidé de mener une étude qualitative pour entendre de vive voix les avis des étudiants, professeurs, professionnels et chercheurs d’emploi afin de se rapprocher de ce qui se passe réellement dans les universités et les entreprises. Les réponses à notre étude ont été réparties en deux catégories :  

Certains ont confirmé que le diplôme obtenu conditionne l’accès au marché d’emploi, d’autres trouvent que ce sont plus les expériences professionnelles qui encadrent cette insertion. Ceux qui trouvent que le diplôme impacte l’insertion au monde professionnel avaient comme justificatif le manque d’expérience du profil fraîchement diplômé. Par conséquent, les managers adoptent le diplôme obtenu et l’école/ l’université fréquentée comme critère de sélection. Oui un manager peut se focaliser sur un jeune talent seulement par son parcours universitaire. En même temps c’est hyper important aussi parce que la réputation d’un établissement c’est sa réussite. Ainsi la réussite créée des élites, donc des personnes qualifiées, effectivement, on se base sur ça pour juger les gens.” Clara, conseillère pôle service chez DARTY.  

Toutefois, des critiques ont été adressées à ce type de sélection stipulant que les managers peuvent passer à côté de bons profils de Juniors en adoptant l’école fréquentée comme critère de sélection. C’est cette catégorie interrogée dans notre étude qui a formé la deuxième catégorie qui trouve que d’autres critères peuvent être pris en considération dans le processus de recrutement, citant l’expérience professionnelle comme exemple. Néanmoins, la critique évidente que nous pouvons adresser à cette catégorie est que cela n’inclut pas les jeunes diplômés qui, dans la mesure où ils ne disposent pas d’expériences professionnelles se retrouvent exclus. Une réponse obtenue lors de notre étude a réussi à introduire d’autres critères Ce n’est pas parce qu’on sort d’une grande école qu’on va avoir un meilleur niveau. Il faut surtout que l’étudiant soit motivé et méritant. Il ne faut pas qualifier un étudiant par rapport à son école.” Romain en reconversion professionnelle.  

Le mérite et la motivation ont été les critères introduits par Romain et ceci a été confirmé par quelques recruteurs qui changent actuellement de stratégies et croient en la possibilité de suppléer l’exigence du diplôme par d’autres qualités tels que le savoir-faire, les expériences acquises sur le terrain ; peuvent être des expériences de bénévolat et l’engagement associatif. Pour ces recruteurs, ce ne sont pas les années passées en épreuves scolaires, en traitement de données abstraites qui attirent leur attention mais c’est surtout la contribution de plusieurs volets qui gagent le potentiel d’un candidat ce qui nous mène à poser la question suivante : n’existent-ils pas d’autres critères sur lesquels peuvent se baser les managers pour ne pas passer à côté de bons profils capables d’assumer la responsabilité du poste à pourvoir ? 


Conclusion, recommandations pour les managers

Pour conclure, on peut dire qu’en France la notion de classe sociale en termes d’égalité joue un rôle encore très important. En effet, une personne qui a une classe sociale plus importante aura plus de facilité à faire une école privée par exemple qu’une personne moins aisée. Il en ait de même pour l’obtention d’un premier emploi. Encore trop de recruteurs se basent sur l’école fréquentée et non pas sur les qualités réelles d’un candidat lors de la sélection.  
 

Nous pouvons proposer quelques méthodes pour vous permettre de ne pas passer à côté d’un bon candidat. Tout d’abord faire faire des exercices pratiques, des mises en situation réelle lors des entretiens d’embauches pour évaluer les compétences réelles d’un candidat. Ensuite ne pas se fier seulement à son niveau de diplomation, mais plutôt évaluer sa motivation.  
 

Les recruteurs peuvent aussi proposer un essai de quelques jours en immersion pour voir si le candidat correspond aux critères de l’entreprise. 
 

En tout cas, dans la société actuelle où les savoirs et les compétences sont de plus en plus facilités grâce à l’accès aux nouvelles technologies, il semble contreproductif pour toute entreprise de continuer à donner la priorité à l’origine du diplôme ou de la classe sociale. En changeant les règles du jeu, l’entreprise pourrait jouer un rôle de précurseur en matière de progrès social au sein d’une société de plus en plus désireuse de plus de justice sociale. 


Présentation des auteurs

Nous sommes cinq étudiants de l’ESC Clermont, en deuxième année de Master Grande Ecole, avec des parcours différents :  
 

  • Marie-Amélie, 23 ans, en alternance au sein du siège social du Groupe Michelin dans l’équipe communication interne. J’ai choisi la spécialisation Design Digital Manager pour cette dernière année d’études afin de compléter mes connaissances dans les logiciels de PAO.  
  • Laura, 23 ans, en alternance au sein du magasin Darty à Bayonne en tant que chef des ventes. J’ai choisi la spécialisation retail management et marketing produit pour ma dernière année de master 2.  
  • Quentin, 22 ans, en alternance chez Magpra à Moulins (03) en tant que commercial B to B dans l’agroalimentaire. Au cours du premier semestre, j’étais en spécialisation Business Developper.  
  • Yasmine, 22 ans, alternante en contrôle de gestion industriel chez Sanofi à Gentilly. Pour ma deuxième année de master, je suis spécialisée en contrôle de gestion.  
  • Sabrina, 25 ans, alternante chez CS Laser à Mozac en tant que chargée de communication. Au cours du premier semestre j’étais en spécialisation communication et marketing digital. 

Bibliographie

P. Pasquali (2020). Héritocratie. Les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite.  

A. Jourdain. S. Naulin (2011). Héritage et transmission dans la sociologie de Pierre Bourdieu.  


Laura Gaborit
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