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Les 4 Temps du Management - Réinventer le Management
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Les 4 Temps du Management

Chroniques impertinentes

Mesurer la performance managériale à partir d’indicateurs : une chimère ?

« Manager c’est faire sans s’en rendre compte quelque chose qui n’a rien à voir avec ce qui ne nous a même pas été demandé explicitement ».

Denis Bismuth


Depuis que le management existe se pose la question de la mesure de la performance managériale et des indicateurs permettant cette mesure. Mesurer suppose qu’il existe une norme. Existe-t-il des normes de comportements managériaux ?  Peut-on à priori définir ce que devrait être un bon manager ? Peut-on contractualiser à priori un contrat managérial à partir de comportements mesurables ?
 
Si manager est un art, peut-on mesurer la valeur d’une œuvre ou ne peut-on simplement que l’apprécier ?
 
L’hypothèse qu’on peut faire est : Plus l’acteur doit reconstruire la prescription de l’activité demandée, moins il  est possible de la mesurer pour l’évaluer et de l’anticiper pour la contractualiser. Tout au plus peut-on en apprécier le résultat à l’aune de ses attentes.

 


Peut-on identifier les "comportements" managériaux .?

Bien sûr, on peut tenter d’identifier les comportements managériaux qui font qu’un manager saura plus ou moins bien porter le sens  (signification et direction), créer de la cohésion, faire travailler de concert des personnes différentes et faire qu’elles aient le plus de plaisir à être ensemble. On peut tenter de définir les postures adaptées qui feront que les collaborateurs ne viennent pas seulement pour échanger une force de travail contre un salaire et qu’ils cessent de penser leur reconnaissance uniquement en terme de rémunération, en ayant l’impression de se réaliser dans l’activité de l’équipe. Des postures comme :
 
- Etre orienté vers « l'autre » (empathie)
 
- Rester aligné avec ses valeurs (introspection confiance en soi et courage)
 
- Identifier les stratégies d’influence qu’il met en œuvre ou qu’il subit
 
- Produire des décisions de sens et d’action
 
Dans l’idéal, ce serait sur ces bases là qu’on pourrait tenter de définir ce qu’est un « bon manager ». Mais ces généralités décontextualisées n’ont qu’un intérêt relatif parce que « dans la vraie vie » ce qui va être important c’est la manière dont le manager configure les différents poids de ces indicateurs en fonction de la réalité des équipes qu’il manage. Comment il bricole à chaque instant dans sa cuisine managériale pour agencer ces ingrédients en fonction des situations.
 
 

Peut - on évaluer les comportements managériaux ?

Quant à évaluer et contrôler comment s’y prend un manager pour faire cela c’est réellement une autre paire de manche.
 
Les retours sur investissement d’un management efficace sont rarement rationalisables et quantifiables. C’est la raison pour laquelle on évite soigneusement de rémunérer la performance managériale autrement qu’à l’aune de la performance de l’équipe. Ce n’est pas en comptant le nombre de réunions qu’organisera un manager qu’on pourra en conclure de sa compétence à créer de la cohésion.
 
En réalité la notion d’indicateurs de mesure n’a de sens que dans une approche hyper-taylorienne du travail : dans la mesure où un prescripteur a établi d’une manière quantifiable et mesurable le contrat de l’activité en détaillant les gestes à produire. Cette mesure est possible quand le prescripteur est distinct de l’acteur. Elle est possible  pour une activité prescrite qui n’est pas trop loin de l’activité réalisée. La notion d’indicateur n’a de sens seulement là ou l’on peut séparer prescription et action.
 
Dans une démarche purement taylorienne le contrat d’activité qui laisse la possibilité d’une mesure ne peut porter que sur deux choses :
 
- Le résultat, le produit de l’action : ce qui serait le nombre de pièces produite par l’ouvrier à l’usine ou la performance de l’équipe pour le management.
 
- La partie formalisable de l’activité. Comme l’a montré la psychologie du travail, une partie de l’activité qui rend possible le résultat n’est pas formalisée dans la prescription et pour que l’acteur puisse agir, il est obligé de s’auto-prescrire un certain nombre d’autres actions qui ne rentrent pas dans le contrat d’activité (justement parce qu’elles n’ont pas été formalisées et n’ont donc pas pu être quantifiées). Dans une même tâche, une partie plus ou moins grande de l’activité peut faire l’objet d’un contrat, l’autre partie tout aussi importante restera dans les nimbes de l’intuition de l’acteur et ne sera ni rémunérée ni considérée comme de la compétence -voire même au contraire sera considérée comme une transgression.
 
La part de l’auto-prescription ou la re-prescription sera fonction de différents facteurs : Certaines tâches sont plus ou moins prévisibles ou plus ou moins complexes. Il n’est donc pas toujours possible de définir à priori un process/contrat qui pourra servir de prescription exhaustive.
 
Plus il y a de routines formalisables, comme dans les gestes de l’usine de Taylor, moins la réussite de l’activité va dépendre de la part d’auto-prescription et donc plus il sera possible de définir des critères de mesure de la performance. A contrario, plus l’activité est complexe, plus il est nécessaire de développer la part d’auto-prescription, et  plus l’activité suppose un engagement  et une créativité, plus l’acteur est obligé de reconstruire la prescription, voire de la construire totalement à partir des indications floues du type vœux pieu qu’on lui fournit.
 

Manager un art appréciable et non mesurable

Dans l’activité managériale la part de re-prescription (d’auto-prescription), est maximum parce que manager est un art et la pratique d’un art suppose l’engagement identitaire de son acteur, une prise de  risque, une démarche d’essai-erreur et beaucoup de régulation sans visibilité et donc beaucoup d’auto-prescription.

Cela suppose une volonté active de produire sa propre activité. Une présence à son environnement qui n’est pas compatible avec une prescription rigide qui ne laisserait pas la place à l’acteur pour la reconstruire. L’acteur imprime fortement la marque de sa personnalité dans sa manière de procéder ce qui rend très difficile la volonté de contrôler et de normer institutionnellement cette activité.
 
En ce sens, la demande institutionnelle de mesurer la performance managériale à l’aide d’indicateurs quantifiables peut paraître impossible à mettre en œuvre.
 
En réalité il y a un conflit de critère dans cette notion d’évaluation de l’activité. Le conflit de critère porte sur le « comment on va mesurer la cohérence d’ensemble du triptyque intention/ méthode/produit final. Cette mesure de cohérence peut se faire d’un point de vue de critères de productivité lorsqu’elle est mesurée du point de vue de la direction d’une entreprise. Mais elle peut se faire aussi du point de vue de critères de bien être au travail lorsqu’elle est vue du point de vue de l’exécution. Ces critères ne se rencontrent pas forcément. On peut avoir une équipe performante et en souffrance mais on peut aussi avoir une équipe plutôt dans le bien être mais qui ne produit pas de performance. En ce sens ces deux types de critères n’ont aucun intérêt tant qu’ils ne sont pas pondérés par tout un ensemble d’autres critères qui restent à définir.
 
Pour une direction d’entreprise ce qui importe c’est qu’il existe une cohérence entre la définition des missions qu’on donne au manager et les résultats attendus. On peut résumer la demande de l’institution à quelque chose comme :
 
« Montrez moi qu’il y a une cohérence entre ma prescription et le résultat qui est manifesté »
 
Cette demande est par définition irrecevable parce que :
 
- la prescription en matière de management (quand elle s’exprime !)  s’exprime le plus souvent sous la forme d’intention, de vœux pieu, voire de désir ; Mais rarement par une liste de gestes professionnels mesurables.
 
- Entre la prescription et la réalisation il y a une « activité recouverte », non contrôlable, l’auto-prescription et  qui n’est pas prise en compte dans la mesure.
 
- Cette partie de l’activité de reconstruction de la prescription n’est pas conscientisable sans un travail d’accompagnement,  même pour celui qui a conduit l’activité : le manager.
 
Ainsi, la quantité de variables non contrôlées est trop importante pour qu’on puisse établir des corrélations significatives entre les différents observables de l’activité de manager.
 
 

Evaluer pour contrôler ou pour comprendre ?

La question de l’évaluation des activités humaines du type artistique devient complexe dès qu’il existe une divergence d’intérêt entre un donneur d’ordre et un exécutant. On peut évaluer pour contrôler la réalisation par un ouvrier d’une planche de bois dont les cotes explicitables sont contractualisables. Mais la commande d’une statue pour mettre sur la place publique ne peut faire l’objet que d’une appréciation. On peut contrôler qu’un manager/gestionnaire rempli bien un tableau de bord ou une grille d’indicateurs. Quant à ce qui ne renvoie pas à des activités de contrôle, cela reste quelque chose d’insaisissable.
 
Ceci questionne la limite de la légitimité d’une institution pour évaluer dans une intention de contrôle, lorsqu’on a à faire à des activités du type artistique.
 
 
Mesurer pour prendre conscience
 
Ce n’est pas tant une évaluation à visée de contrôle qui est à développer dans le management intermédiaire. On peut faire l’hypothèse que les managers sont compétents et loyaux dans  l’ensemble. A part peut être quelque faible pourcentage d’agent vraiment incompétents ou déloyaux. Leur présence questionne plutôt la compétence à choisir des collaborateurs de l’institution qui les a mis là. De plus, les raisons de l’efficacité du management ne sont pas seulement le résultat de l’activité du manager. Un grand nombre de facteurs extrinsèques à l’activité de management influencent le résultat. Ces facteurs extrinsèques sont souvent imperceptibles dans le cours de l’action, tant qu’on n’a pas pris le temps de les révéler par une analyse ex actu.
 
Lacan disait : L’amour consiste à offrir quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas.
 
Cette définition plutôt désespérée mais néanmoins réaliste, pourrait connaître une déclinaison dans le management. « Manager c’est faire sans s’en rendre compte quelque chose qui n’a rien à voir avec ce qui ne nous a pas même pas été demandé explicitement».
 
Dans une problématique de management, mesurer et évaluer pour contrôler ressort de l’impossible voire de l’imposture.
 

Découvrir l'activité recouverte

Si le projet d’évaluer l’activité managériale est sans espoir c’est peut être qu’au fond le projet n’est pas réaliste. Cette impossibilité à évaluer pose la question de savoir qui est légitime pour avoir une information sur la valeur des actes du manager ? Dans quelques unes des formations que j’ai pu suivre l’évaluation de la formation reposait sur la capacité du formé à se formuler d’une manière explicite ses champs de compétence et leurs limites : qu’est ce qu’il savait faire qu’est ce qu’il ne savait pas encore faire. On peut se demander si au bout du compte le véritable professionnalisme ne se trouve pas dans la capacité à avoir une conscience explicite de ses acquis et de ses limites.  Ce mode d’évaluation a tout son sens dans les métiers où l’acteur est son propre outil de travail. Ce qui est le cas des métiers de la relation. Le management est bien un métier de la relation. Ce qui revient à poser la question de savoir si « etre conscient » est une compétence ? Est ce qu’au fond la santé professionnelle du manager ne se résume pas à avoir la capacité à identifier les situations qui mettent en danger sa propre congruence ?
 
Au fond, on peut faire l’hypothèse que professionnaliser un manager c’est l’entrainer à révéler la cohérence (ou l’incohérence) de la situation qu’il  doit ou qu’il devra gérer. L’aider à mettre de l’intelligibilité sur la situation qu’il vit pour comprendre ce qui se passe ou ce qui s’est passé. Sachant que la represcription est intuitive et non-consciente, cette mesure de cohérence suppose qu’on amène l’acteur à formaliser la represcription qui a réellement présidé à son action. Ce n’est qu’ensuite qu’on pourra tenter de mesurer quelque chose.
 
Ce n’est pas en cherchant à identifier des indicateurs théoriques et généraux qui permettent de contrôler en ramenant les comportements particuliers à une norme générale qu’on va pouvoir valider leurs stratégies managériales. On se rend compte qu’une bonne manière de mettre de la lumière dans la relation managériale consiste à mettre l’acteur dans une démarche d’analyse de pratiques. En effet, sans ce travail de mise à distance l’acteur, navigant à vue en situation complexe, est incapable de savoir si sa démarche a été cohérente. On peut avoir une perception négative d’une pratique de management alors qu’à l’analyse, il apparaît que le manager a fait du mieux possible dans un contexte interdisant toute réussite. Inversement on peut avoir l’impression d’un manager a réussi parce que son équipe produit beaucoup, mais qu’à l’analyse on mesure que l’équipe réussi « malgré » le manager.
 
Dans les activités complexes, il semble illusoire de chercher à mesurer des résultats «  de l’extérieur » par rapport à une norme sociale. Il s’agit plutôt de faire confiance à la loyauté de l’acteur et de lui offrir l’opportunité de chercher sa propre cohérence par une démarche d’introspection.
 
La capacité du manager à prendre du recul et à se questionner pour s’auto évaluer est un indicateur fort de son professionnalisme. La capacité à produire un discours sur sa pratique est également un indicateur de professionnalisme.
 
D’autres secteurs d’activité où l’acteur est lui-même son propre outil de travail ont eu à se confronter à cette question (psy… coach ou accompagnant sous toutes les formes possibles) Ils ont su contourner une partie de cette difficulté à normer l’activité par la mesure du résultat. Ils ont pour cela privilégié l’activité de supervision. On ne cherche plus à vérifier que la personne est compétente par la mesure d’un résultat, mais on va exiger de l’acteur qu’il acquière la capacité à prendre conscience de ce qu’il fait vraiment au delà de ce qu’il croit qu’il fait. Loyauté et compétence feront le reste.
 
 
 

L'auto - évaluation une compétence managériale

La santé professionnelle et le développement en continu des compétences d’un manager suppose qu’il soit en permanence accompagné dans son activité. Plus que d’acquisition de compétence qui se comprend dans une démarche de formation déterminé dans le temps, il s’agit ici d’un accompagnement au long cours, à visée de prévention de sa santé professionnelle mais aussi prévention des risques psychosociaux que courre une population souvent fragilisée par les situations de paradoxes et de double contraintes qu’elle est amenée à gérer en permanence.
 
Cela nous ramène à une compétence managériale implicite qu’il faudra bien « découvrir », la capacité d’attention consciente. Comme on le propose dans le courrier d’introduction aux  groupes de coprofessionnalisation : « un bon manager n’est pas quelqu’un qui ne fait pas d’erreurs, cela n’existe pas. Un « bon » manager est un manager capable de voir ses erreurs et de les comprendre, le plus vite possible pour y remédier ». Ainsi, paradoxalement un « bon » manager se mesure aux indicateurs d’erreur qu’il donne. Plus il est capable de produire du sens sur ses erreurs plus il nous donne une information sur sa compétence.
 
Ce qui suppose une capacité à questionner l’environnement plus qu’à apporter des réponses. Donc, plus un manager donnera d’informations sur les questions qu’il se pose, plus on pourra considérer qu’il est en voie de professionnalisation. On voit bien que, contrairement à ce que l’on va trouver dans l’évaluation des processus de formation à contenu, ce qui va servir d’évaluation ce n’est pas la performance du geste professionnel c’est la capacité à produire du sens sur le geste professionnel. Ce qui dans le cas du management n’est pas étonnant dans la mesure où manager c’est produire des décisions de sens et d’action. Faire intentionnellement et consciemment ce qu’il fait, c’est à peu près dans ce seul domaine qu’un manager peut espérer progresser.
Ainsi la capacité à produire un auto-diagnostic, seul ou accompagné, est un indicateur de performance pour un manager. Inutile d’aller chercher  un expert extérieur pour mesurer une hypothétique adéquation à une quelconque norme.
 

Présentation de l'auteur

Fondateur dirigeant de la société Métavision.

Coach de dirigeants depuis 1996, il accompagne le management intermédiaire depuis 1999 au travers d’une méthodologie d’analyse de pratiques originale qu'il a crée: les groupes de coprofessionnalisation ©. Expert management auprès de la revue H B R, il supervise des formateurs et des coachs. Il est par ailleurs diplômé d'un Master II Cnam formation des adultes.

Actions récentes (2014)
- Accompagnement de l’équipe managériale de Thalès ED sur le thème: changer de modèle managérial.
- Accompagnement du management intermédiaire de la R&D. de l’Oréal sur le thème: : le manager du futur: management de l’innovation et innovation managériale.

Publications :
- L’analyse de pratiques de manager , Editions Hermès 2005
- Attention management ! : Analyse de pratiques et professionnalisation du management: Une question d’attention consciente? Editions Colligence 2014

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