Orain Arnaud, Les savoirs perdus de l’économie. Contribution à l’équilibre du vivant, Eds Gallimard NRF, 380 pages., 2023

Le titre du livre ne peut laisser indifférents les théoriciens et les praticiens de l’économie. L’auteur se défend d’écrire une nouvelle histoire des idées économiques. Il adopte une approche originale de l’économie alternative, qui se distingue des « idéologies à la mode » prônant la décroissance, l’alter-mondialisme, l’anticapitalisme, l’écologisme… Il rappelle que trois types de savoirs économiques se sont succédés depuis l’Antiquité : la théologie politique et le pastorat, puis la politique économique dominée par la raison d’Etat et enfin, l’économie politique fondée sur le libéralisme. Il estime qu’un nouveau rapport de l’homme au monde se met en place, justifiant une refondation de la science économique.
L’auteur préconise le retour à une épistémologie plus sensible à l’environnement. Il souhaite réhabiliter certains « savoirs anciens oubliés » qui étaient destinés à « satisfaire les besoins humains et l’ordre de la nature ». Ces savoirs « bricolés » (au sens de Levy-Strauss) des « négociants, artisans, ouvriers et fermiers » ont été occultés par les théories économiques orthodoxes. L’auteur est ainsi conduit à rappeler les apports de la « science du grand commerce » pratiquée aux XVIIIe siècle par l’Angleterre et la Hollande et introduite en France par Gournay. Il rappelle les principes de l’homo oeconomicus d’Aristote et de l’homme de l’Encyclopédie : l’histoire naturelle de Buffon, le système de Linné, la physiocratie… Il reproche à Quesnay et aux physiocrates de dire « le vrai et le juste » en fonction d’un « ordre naturel » préétabli, ainsi qu’à Adam Smith et aux libéraux, de fonder l’économie sur des lois de marché tempérées par quelques principes moraux. Il considère que Say, Ricardo, Walras et Pareto ont tenté d’ériger la science économique en science exacte coupée des autres sciences. L’économie a été réduite selon lui à l’économétrie – par la recherche de lois de causalités et de régularités – et dans l’expérimentation – par l’observation statistique de groupes témoins et de groupes tests. Cette dérive épistémique a alimenté les mouvements populistes antisystèmes qui ne croient plus aux savoirs académiques et aux paroles d’experts.
L’auteur estime caduc le « grand partage » entre l’homme et la nature qui fonde la science économique néo-classique. Il dénonce les approches actuelles de l’économie de l’environnement fondées sur une modélisation de l’équilibre entre les ressources et les débouchés des organisations, intégrant leurs externalités négatives sous forme d’émission de carbone, de pollutions et d’atteinte à la biodiversité. L’auteur plaide en faveur d’une économie plus « « globale » axée sur l’observation de la dynamique des écosystèmes (ou des milieux) dans leurs dimensions historique et géographique, ainsi que des interactions entre ces écosystèmes. Ces derniers sont marqués à la fois par un certain déterminisme et par un processus fractal, dont la connaissance permet d’en mieux prévoir et traiter les crises. Cette « science vernaculaire » mobilisant toutes les sciences de la nature, serait construite à la fois par les savants, les praticiens et le grand public. Elle devrait s’intéresser à tous les acteurs vivants (humains, animaux et végétaux) et à tous les facteurs (matériels et immatériels) qui contribuent à la création de valeur sous toutes ses formes, dans chacun des écosystèmes.
Dans cet ouvrage à la fois original et monumental, l’auteur fait preuve d’une grande érudition parfois teintée de gongorisme.
Arnaud Orain est professeur à l’Institut d’Etudes Européennes de l’Université Paris 8.
L’auteur préconise le retour à une épistémologie plus sensible à l’environnement. Il souhaite réhabiliter certains « savoirs anciens oubliés » qui étaient destinés à « satisfaire les besoins humains et l’ordre de la nature ». Ces savoirs « bricolés » (au sens de Levy-Strauss) des « négociants, artisans, ouvriers et fermiers » ont été occultés par les théories économiques orthodoxes. L’auteur est ainsi conduit à rappeler les apports de la « science du grand commerce » pratiquée aux XVIIIe siècle par l’Angleterre et la Hollande et introduite en France par Gournay. Il rappelle les principes de l’homo oeconomicus d’Aristote et de l’homme de l’Encyclopédie : l’histoire naturelle de Buffon, le système de Linné, la physiocratie… Il reproche à Quesnay et aux physiocrates de dire « le vrai et le juste » en fonction d’un « ordre naturel » préétabli, ainsi qu’à Adam Smith et aux libéraux, de fonder l’économie sur des lois de marché tempérées par quelques principes moraux. Il considère que Say, Ricardo, Walras et Pareto ont tenté d’ériger la science économique en science exacte coupée des autres sciences. L’économie a été réduite selon lui à l’économétrie – par la recherche de lois de causalités et de régularités – et dans l’expérimentation – par l’observation statistique de groupes témoins et de groupes tests. Cette dérive épistémique a alimenté les mouvements populistes antisystèmes qui ne croient plus aux savoirs académiques et aux paroles d’experts.
L’auteur estime caduc le « grand partage » entre l’homme et la nature qui fonde la science économique néo-classique. Il dénonce les approches actuelles de l’économie de l’environnement fondées sur une modélisation de l’équilibre entre les ressources et les débouchés des organisations, intégrant leurs externalités négatives sous forme d’émission de carbone, de pollutions et d’atteinte à la biodiversité. L’auteur plaide en faveur d’une économie plus « « globale » axée sur l’observation de la dynamique des écosystèmes (ou des milieux) dans leurs dimensions historique et géographique, ainsi que des interactions entre ces écosystèmes. Ces derniers sont marqués à la fois par un certain déterminisme et par un processus fractal, dont la connaissance permet d’en mieux prévoir et traiter les crises. Cette « science vernaculaire » mobilisant toutes les sciences de la nature, serait construite à la fois par les savants, les praticiens et le grand public. Elle devrait s’intéresser à tous les acteurs vivants (humains, animaux et végétaux) et à tous les facteurs (matériels et immatériels) qui contribuent à la création de valeur sous toutes ses formes, dans chacun des écosystèmes.
Dans cet ouvrage à la fois original et monumental, l’auteur fait preuve d’une grande érudition parfois teintée de gongorisme.
Arnaud Orain est professeur à l’Institut d’Etudes Européennes de l’Université Paris 8.
JJ PLUCHART
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