
Dans les organisations, les difficultés relationnelles sont souvent attribuées aux styles de management ou à des conflits de générations. Mais il existe un facteur plus souterrain, rarement nommé : le trouble de la maturité psychique chez certains collaborateurs. Derrière ce terme, se cachent des attitudes de dépendance, de refus du cadre ou de fusion relationnelle, qui parasitent la qualité de la coopération.
1. Une maturité qui ne va pas de soi
Certains collaborateurs, parfois très compétents techniquement, peinent à fonctionner en adultes dans leur relation au manager. Cela se manifeste par :
Une dépendance décisionnelle chronique,
Un besoin d’approbation permanent,
Une dramatisation des feedbacks,
Un rejet des responsabilités en cas d’échec.
On pourrait croire à un simple problème de confiance en soi. Mais il s’agit souvent d’un rapport inachevé à l’autorité et à la loi symbolique.
2. Une grille de lecture psychanalytique
Le psychanalyste Vincent de Gaulejac parle de "névroses organisationnelles" pour désigner les troubles issus du croisement entre l’histoire psychique des individus et la structure du travail. Si le manager est perçu comme un père tout-puissant ou, au contraire, comme un allié maternant, la relation devient asymétrique, infantilisante, et les conflits s’installent sur un registre émotionnel plus que professionnel.
3. Les effets sur le collectif
Ce trouble fragilise :
- La délégation,
- La capacité à faire équipe,
- La dynamique d’apprentissage.
Le manager, aspiré dans un rôle parental, peut se retrouver soit à surcontrôler, soit à surprotéger. Le collectif régresse : moins de coopération, plus de demandes implicites, et des conflits larvés.
4. Sortir du piège
- Établir un cadre clair : Poser les règles et les rôles avec constance rassure et responsabilise.
- Favoriser la réflexivité : Par le feed-back et la confrontation bienveillante, faire émerger les impensés relationnels.
- Encourager la prise d’initiative : Même modeste, elle permet de remettre le collaborateur dans une dynamique adulte.
- Accompagner la symbolisation : Le manager n’est ni un parent, ni un thérapeute, mais un garant du tiers symbolique.
Travailler la maturité des collaborateurs, c’est investir dans la capacité collective à co-construire, à réguler, à créer du sens ensemble. C’est aussi protéger le manager d’un rôle de suppléance émotionnelle souvent invisible, mais épuisant. Loin des approches comportementales standardisées, cette démarche suppose une écoute fine des résonances subjectives, et une capacité à poser un cadre éthique, stable et différenciant.
À méditer : Et si la maturité professionnelle n’était pas un préalable, mais une conquête ?
Bibliographie indicative
Freud, S. (1923). Le Moi et le Ca.
Lacan, J. (1957-58). Le séminaire, livre V : Les formations de l'inconscient.
Enriquez, E. (1992). De la horde à l'État.
Gaulejac, V. de (2005). La névrose de classe.
Assoun, P.-L. (2003). Le complexe d'Œdipe aujourd'hui.