Du complexe d'Œdipe à la maturité managériale : une lecture psychanalytique de l'autorité

Dans les discours contemporains sur le management, la maturité est souvent envisagée sous l'angle de la maîtrise de soi, de la responsabilité et de la capacité à encadrer sans dominer. Mais qu'entend-on par "maturité" dans le champ psychodynamique ? Peut-on en dégager les racines profondes dans la construction du sujet ? Cet article propose une lecture du lien entre la maturité managériale et le complexe d'Œdipe, tel qu'il a été théorisé par Freud et retravaillé par la psychanalyse contemporaine. Il s'agira de montrer en quoi le chemin vers une autorité saine et partagée suppose un travail psychique de dépassement des désirs infantiles, en particulier ceux qui se nouent dans le triangle œdipien.

1. Le complexe d’Œdipe : une matrice de la socialisation

Formulé par Freud dans les premières décennies du XXe siècle, le complexe d’Œdipe désigne une phase-clé du développement psychique entre 3 et 6 ans. L’enfant y manifeste un désir pour le parent du sexe opposé et une rivalité envers le parent du même sexe. Ce conflit est résolu par l’intériorisation de l’interdit de l’inceste et l’acceptation de la Loi, incarnée par la figure du "père" symbolique. Cette résolution permet à l’enfant d’accéder à la différence des générations, à la reconnaissance de l’altérité, à la décentration de soi.

Selon Jacques Lacan, ce passage fonde l'accès au symbolique par l'intériorisation du "Nom-du-Père", fonction organisatrice de la subjectivité. Le sujet mature est ainsi celui qui accepte la perte de la toute-puissance narcissique, la loi de la séparation, et s’inscrit dans une filière symbolique.

2. Maturité psychique et autorité interne

La maturité psychique ne se résume pas à la maîtrise comportementale. Elle suppose l’élaboration de la perte, la reconnaissance des limites, l’intériorisation d’un cadre éthique. Dans le champ de la psychanalyse appliquée au travail (Gaulejac, Enriquez), cette maturité est le fruit d’une subjectivation du rapport à l’autorité. Là où le sujet infantile aspire à fusionner ou à s'opposer radicalement, le sujet mature accepte la dialectique de la transmission, de la responsabilité, et du renoncement à l’omnipotence.

3. Les figures managériales à l’épreuve de l’Œdipe

Dans l’entreprise, le rapport au pouvoir rejoue souvent les impensés de l’histoire subjective.
 

• Le manager non œdipien se caractérise par :

Une posture de maître absolu ou de père tyrannique (omnipotence),
Une difficulté à transmettre, à déléguer, à laisser la place,
Une fusion avec les équipes (père copain),
Un rejet de la règle ou un besoin excessif de contrôle.
 

• A contrario, le manager œdipien, ayant symboliquement résolu le complexe, se distingue par :

Une reconnaissance de sa place dans une chaîne de transmission,
Une capacité à assumer l’autorité sans autoritarisme,
Une posture de médiateur entre les règles, les enjeux et les personnes,
Une gestion saine du conflit et de la différence.

4. Élaborer l’Œdipe pour instituer une autorité juste

Ce bref parcours montre combien la fonction managériale est traversée par des enjeux inconscients issus du roman familial. Accéder à une maturité managériale suppose de ne pas escamoter les conflits œdipiens, mais de les symboliser. Le manager devient alors un sujet capable d’assumer l’autoréférence sans toute-puissance, de dire "non" sans violence, de transmettre sans s’effacer. En somme, un sujet inscrit dans la loi, et capable d’en être garant sans en être l’unique détenteur.

Élaborer l’Œdipe, c’est ainsi renoncer à l’idéal d’un pouvoir sans faille pour embrasser une autorité fondée sur la reconnaissance mutuelle, le respect des places et la temporalité de la transmission. Cela implique d’assumer les tensions inhérentes à la position d’encadrant : être à la fois garant du cadre et réceptif à l’altérité, régulateur des conflits sans chercher à les annuler, et porteur d’un projet collectif au-delà de ses intérêts narcissiques.

Dans cette perspective, l’autorité juste ne relève ni du charisme personnel, ni d’une technique managériale, mais d’un travail de subjectivation qui ancre l’individu dans une histoire, une culture, et une éthique de la relation. En résolvant son Œdipe, le manager se libère d’un rapport archaïque au pouvoir et accède à une posture de tiers régulateur, capable de tenir ensemble l’autonomie des personnes et la cohérence du collectif.

Ce bref parcours montre combien la fonction managériale est traversée par des enjeux inconscients issus du roman familial. Accéder à une maturité managériale suppose de ne pas escamoter les conflits œdipiens, mais de les symboliser.

Le manager devient alors un sujet capable d’assumer l’autoréférence sans toute-puissance, de dire "non" sans violence, de transmettre sans s’effacer. En somme, un sujet inscrit dans la loi,  capable d’en être garant sans en être l’unique détenteur. Ou pour le dire autrement,  "il a intériorisé la loi. Il n' a plus besoin du père". 


Bibliographie indicative

Freud, S. (1923). Le Moi et le Ca.

Lacan, J. (1957-58). Le séminaire, livre V : Les formations de l'inconscient.

Enriquez, E. (1992). De la horde à l'État.

Gaulejac, V. de (2005). La névrose de classe.

Assoun, P.-L. (2003). Le complexe d'Œdipe aujourd'hu

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