La souffrance au travail, l’intensification du travail, le stress, la perte du sens… sont dénoncés dans de nombreuses publications qui évoquent la crise du travail contemporain.
Paradoxalement, ces mêmes travaux soulignent une très forte attente à l’égard du travail qui doit non seulement fournir un revenu, mais aussi un statut, de la reconnaissance et un épanouissement personnel (Méda, 2010).
Il est indéniable de constater que le travail ne ressemble plus guère à ce qu’il était il y a une trentaine d’années et qu’il est soumis à de grandes tensions. Michel Lallement (2010) met l’accent sur quatre tensions majeures :
- la première est de nature macrosociale : la marchandisation du travail à l’échelle internationale et l’usage toujours croissant des TIC ont recomposé les mondes du travail. On assiste désormais à l’opposition entre travail de riche et travail de pauvre, au brouillage entre les secteurs publics et privés, aux oppositions entre petites et grandes entreprises, entre travailleurs qualifiés et travailleurs non qualifiés, entre emplois stables et emplois précaires…
- la deuxième tension interpelle les nouvelles formes d’organisation porteuses d’injonctions contradictoires, voire paradoxales : être autonome et subir toujours plus de contraintes, coopérer tout en assistant à la division du travail, supporter l’irruption de nouveaux acteurs, tels que le client qui pèse directement sur la façon de travailler, ou l’actionnaire…
-La troisième tension met en scène le couple travail/emploi. L’emprise du marché sur la force de travail qui reste une marchandise particulière comme l’a suggéré Karl Marx, présente de nombreuses dérives si elle n’est pas régulée. Ces dernières années, non seulement, nous avons assisté à des segmentations (selon l’âge, la région, le diplôme…) du marché du travail, mais surtout à la déstabilisation de la condition de salarié, directement liée au développement d’emplois de qualité médiocre.
-la dernière tension est d’ordre cognitif. Les catégories nous permettant de penser le travail aujourd‘hui sont pour partie obsolètes. Apparues lors de la société industrielle, les grilles de lecture que nous utilisons ne nous permettent plus de décrypter les transformations contemporaines du travail.
Face à ce diagnostic, des voix s’élèvent annonçant la fin de l’emploi et du travail et en appellent à une grande réforme.
Mais de quelle réforme parle-t-on ?
Paradoxalement, ces mêmes travaux soulignent une très forte attente à l’égard du travail qui doit non seulement fournir un revenu, mais aussi un statut, de la reconnaissance et un épanouissement personnel (Méda, 2010).
Il est indéniable de constater que le travail ne ressemble plus guère à ce qu’il était il y a une trentaine d’années et qu’il est soumis à de grandes tensions. Michel Lallement (2010) met l’accent sur quatre tensions majeures :
- la première est de nature macrosociale : la marchandisation du travail à l’échelle internationale et l’usage toujours croissant des TIC ont recomposé les mondes du travail. On assiste désormais à l’opposition entre travail de riche et travail de pauvre, au brouillage entre les secteurs publics et privés, aux oppositions entre petites et grandes entreprises, entre travailleurs qualifiés et travailleurs non qualifiés, entre emplois stables et emplois précaires…
- la deuxième tension interpelle les nouvelles formes d’organisation porteuses d’injonctions contradictoires, voire paradoxales : être autonome et subir toujours plus de contraintes, coopérer tout en assistant à la division du travail, supporter l’irruption de nouveaux acteurs, tels que le client qui pèse directement sur la façon de travailler, ou l’actionnaire…
-La troisième tension met en scène le couple travail/emploi. L’emprise du marché sur la force de travail qui reste une marchandise particulière comme l’a suggéré Karl Marx, présente de nombreuses dérives si elle n’est pas régulée. Ces dernières années, non seulement, nous avons assisté à des segmentations (selon l’âge, la région, le diplôme…) du marché du travail, mais surtout à la déstabilisation de la condition de salarié, directement liée au développement d’emplois de qualité médiocre.
-la dernière tension est d’ordre cognitif. Les catégories nous permettant de penser le travail aujourd‘hui sont pour partie obsolètes. Apparues lors de la société industrielle, les grilles de lecture que nous utilisons ne nous permettent plus de décrypter les transformations contemporaines du travail.
Face à ce diagnostic, des voix s’élèvent annonçant la fin de l’emploi et du travail et en appellent à une grande réforme.
Mais de quelle réforme parle-t-on ?
Haro sur le droit du travail !
Il suffirait de démanteler le code du travail désigné comme le principal coupable, pour renouer avec la prospérité et le plein emploi ! Une telle pensée prêterait à rire si elle n’était pas reprise depuis plus de vingt ans, de manière obsédante, par ceux que l’on désigne habituellement par le terme d’élites : l’ensemble des dirigeants politiques de tout bord, les représentants des organisations patronales ou « experts » encouragés à s’exprimer dans les médias dominants et autres faiseurs d’opinion : économistes « en vogue », consultants, universitaires, journalistes… .
Et si elle ne rencontrait un si grand écho auprès d’une population française déboussolée, qui ne croit plus en ses institutions et anéantie par les effets pervers de la mondialisation, chômage durable, extrême pauvreté, dégradation des solidarités…!
Et si elle ne rencontrait un si grand écho auprès d’une population française déboussolée, qui ne croit plus en ses institutions et anéantie par les effets pervers de la mondialisation, chômage durable, extrême pauvreté, dégradation des solidarités…!
Un peu de sérieux Messieurs !
Ce que vous appelez de vos vœux en prétextant le caractère innovant et moderne d’une telle réforme n’est autre qu’une résurgence du capitalisme primitif dans sa forme la plus brutale, cherchant à éliminer toutes contraintes à son développement, laissant la place à la toute-puissance du marché, rejetant les normes et les règles, faisant disparaître le rôle du Tiers, figure caractéristique de l’état de droit (Supiot, 2015).
C’est le retour à l’arbitraire, à la loi du plus fort auquel vous aspirez : abolition de l’interdiction du travail de nuit, du travail des enfants, du repos dominical, de la réglementation des licenciements, suppression de la liberté syndicale, et du droit de grève et privatisation des services publics et de la protection sociale… Vous avez hâte d’en finir avec le « mirage de la justice sociale » (ibid)
C’est oublier que le droit du travail s'est construit lentement au fil des siècles . Il est né de la nécessité de transformer les rapports de domination en rapports de droit avec une place laissée à la représentation et à l’action collective des travailleurs, que le droit du travail est un arbitrage temporaire des déséquilibres résultant de la relation de pouvoir instaurée dans le salariat. C’est avoir une conception du travail limitée à sa dimension abstraite : un facteur de production, une unité de compte.
C’est ignorer que la relation de travail est indissolublement une relation économique et une relation sociale, que le travail n’est pas une marchandise, mais qu’il est inséparable de la personne, du travailleur, qu’il a une dimension concrète, qu’il est une part de l’identité humaine…
Il est évident qu’il faille repenser des aspects du droit du travail, compte tenu à la fois des nouvelles formes productives, et des crises de légitimité de la puissance publique, des entreprises et de la représentation collective dans un contexte de globalisation et de révolution numérique effaçant toutes les frontières traditionnelles.
Toutefois les réponses ne doivent pas se trouver dans une dérégulation radicale des relations professionnelles, ni dans une robotisation de substitution des emplois dans le seul but de réduire les coûts du travail, encore moins dans l’ « ubérisation » de la société introduisant un « capitalisme de plateforme » produisant un travail au compte-goutte à des travailleurs auto exploités !
C’est à un changement de paradigme que nous invite la question du travail intégrant comme nous le propose Jean Gadrey (2015) dans son ouvrage (Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire) la reconversion écologique qui pourrait permettre de retrouver le plein emploi et un travail moins intensif.
C’est le retour à l’arbitraire, à la loi du plus fort auquel vous aspirez : abolition de l’interdiction du travail de nuit, du travail des enfants, du repos dominical, de la réglementation des licenciements, suppression de la liberté syndicale, et du droit de grève et privatisation des services publics et de la protection sociale… Vous avez hâte d’en finir avec le « mirage de la justice sociale » (ibid)
C’est oublier que le droit du travail s'est construit lentement au fil des siècles . Il est né de la nécessité de transformer les rapports de domination en rapports de droit avec une place laissée à la représentation et à l’action collective des travailleurs, que le droit du travail est un arbitrage temporaire des déséquilibres résultant de la relation de pouvoir instaurée dans le salariat. C’est avoir une conception du travail limitée à sa dimension abstraite : un facteur de production, une unité de compte.
C’est ignorer que la relation de travail est indissolublement une relation économique et une relation sociale, que le travail n’est pas une marchandise, mais qu’il est inséparable de la personne, du travailleur, qu’il a une dimension concrète, qu’il est une part de l’identité humaine…
Il est évident qu’il faille repenser des aspects du droit du travail, compte tenu à la fois des nouvelles formes productives, et des crises de légitimité de la puissance publique, des entreprises et de la représentation collective dans un contexte de globalisation et de révolution numérique effaçant toutes les frontières traditionnelles.
Toutefois les réponses ne doivent pas se trouver dans une dérégulation radicale des relations professionnelles, ni dans une robotisation de substitution des emplois dans le seul but de réduire les coûts du travail, encore moins dans l’ « ubérisation » de la société introduisant un « capitalisme de plateforme » produisant un travail au compte-goutte à des travailleurs auto exploités !
C’est à un changement de paradigme que nous invite la question du travail intégrant comme nous le propose Jean Gadrey (2015) dans son ouvrage (Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire) la reconversion écologique qui pourrait permettre de retrouver le plein emploi et un travail moins intensif.
Réinventer le travail ?
"C’est ce à quoi nous convient des chercheurs (Lallement (2010), Méda (2010, 2013),Sen (2010), Gomez (2013), De Gaulejac & Mercier (2012), Caillé & Grésy (2014), Clot (2015), Supiot (2015), …) en explorant un certain nombre de pistes :"
Nous en citerons quelques-unes :
Elaborer des règles simplifiées et au service de ce que l’OIT appelle un travail décent qu’il est nécessaire de définir (Lallement).
Inventer de nouveaux droits, les « capabilités » des individus (Sen) permettant à chacun de choisir leur travail, leur carrière, leur mode de vie, en fonction de leurs propres ressources.
Reconstruire les relations sociales dans l’entreprise en réanimant le dialogue social avec un syndicalisme prenant en compte les intérêts, « non pas seulement des travailleurs masculins qualifiés des grandes entreprises, mais aussi des travailleurs précaires et à temps partiel, des femmes, des chômeurs, des retraités, des immigrés, des salariés des entreprises sous-traitantes et des pays pauvres, des semi-indépendants, etc » (Supiot)
Partager le travail et l’envisager comme un véritable projet de société avec rééquilibrage des différentes activités sociales, marchandes et non marchandes (Méda)
Enfin prendre soin du travail, du travail vivant (Gomez), car « le travail soigné est un trait d’union avec la santé hors du travail et même bien sûr, avec la préservation de la nature »(Clot).Ce qui conduit à repenser le management (De Gaullejac) et la logique de don (Caillé) dans les organisations.
Nous en citerons quelques-unes :
Elaborer des règles simplifiées et au service de ce que l’OIT appelle un travail décent qu’il est nécessaire de définir (Lallement).
Inventer de nouveaux droits, les « capabilités » des individus (Sen) permettant à chacun de choisir leur travail, leur carrière, leur mode de vie, en fonction de leurs propres ressources.
Reconstruire les relations sociales dans l’entreprise en réanimant le dialogue social avec un syndicalisme prenant en compte les intérêts, « non pas seulement des travailleurs masculins qualifiés des grandes entreprises, mais aussi des travailleurs précaires et à temps partiel, des femmes, des chômeurs, des retraités, des immigrés, des salariés des entreprises sous-traitantes et des pays pauvres, des semi-indépendants, etc » (Supiot)
Partager le travail et l’envisager comme un véritable projet de société avec rééquilibrage des différentes activités sociales, marchandes et non marchandes (Méda)
Enfin prendre soin du travail, du travail vivant (Gomez), car « le travail soigné est un trait d’union avec la santé hors du travail et même bien sûr, avec la préservation de la nature »(Clot).Ce qui conduit à repenser le management (De Gaullejac) et la logique de don (Caillé) dans les organisations.
Mais est-ce suffisant de réinventer le travail ? Quid de La question du Capital ?
Il est important de rappeler que le travail, comme une pratique autonome et encadrée est inhérent à l’invention d’un nouveau type de capitalisme - le capitalisme moderne - (Max Weber, 1904-1905) celui des révolutions industrielles. La relation capital-travail est donc fondamentale dans la structure du capitalisme.
Cette relation a connu une évolution radicale au cours des années 1980 avec la contre révolution libérale menée sous la houlette de Ronald Reagan aux Etats-Unis et de Margaret Thatcher au Royaume Uni. : Évolution aboutissant à la financiarisation de l’économie, à la suprématie des actionnaires et à des gains de productivité non compensés par des hausses de salaires. La valeur ajoutée créée n’est dès lors plus partagée entre la rémunération du facteur travail et la rémunération du facteur capital, elle est captée par une économie de la rente (Gomez, 2013) au détriment de l’investissement d’une part et des salaires d’autre part.
Cette rupture dans la dynamique du rapport Capital/Travail doit être pensée. C’est le piège tendu par les détenteurs du capital : les rentiers et leurs thuriféraires que de focaliser le débat uniquement sur un des deux éléments : la nécessaire transformation du Travail et de l’emploi. Ne nous laissons pas manipuler !
Cette relation a connu une évolution radicale au cours des années 1980 avec la contre révolution libérale menée sous la houlette de Ronald Reagan aux Etats-Unis et de Margaret Thatcher au Royaume Uni. : Évolution aboutissant à la financiarisation de l’économie, à la suprématie des actionnaires et à des gains de productivité non compensés par des hausses de salaires. La valeur ajoutée créée n’est dès lors plus partagée entre la rémunération du facteur travail et la rémunération du facteur capital, elle est captée par une économie de la rente (Gomez, 2013) au détriment de l’investissement d’une part et des salaires d’autre part.
Cette rupture dans la dynamique du rapport Capital/Travail doit être pensée. C’est le piège tendu par les détenteurs du capital : les rentiers et leurs thuriféraires que de focaliser le débat uniquement sur un des deux éléments : la nécessaire transformation du Travail et de l’emploi. Ne nous laissons pas manipuler !
Conclusion :
La question du travail doit certes être repensée avec d’autres catégories cognitives dans son contexte contemporain. Le débat doit avoir lieu, et être démocratique, mais il ne peut faire l’économie d’une réflexion approfondie sur les mécanismes de création et de répartition des richesses au sein des entreprises.
Aujourd’hui il est confisqué par les idéologues du libéralisme qui l’orientent sur l’unique question du travail et font porter sur les seuls salariés le poids des efforts à réaliser. S’ils ne sont pas contredits, ils nous promettent des futurs peu enviables avec l’aggravation des inégalités sociales et l’émergence d’une très grande dualité du marché du travail opposant « insiders » et « outsiders ».
Aujourd’hui il est confisqué par les idéologues du libéralisme qui l’orientent sur l’unique question du travail et font porter sur les seuls salariés le poids des efforts à réaliser. S’ils ne sont pas contredits, ils nous promettent des futurs peu enviables avec l’aggravation des inégalités sociales et l’émergence d’une très grande dualité du marché du travail opposant « insiders » et « outsiders ».
Présentation de l'auteure
Brigitte Nivet : Professeure Consultante en Management et Développement des Ressources Humaines, (Groupe ESC) Directrice de l’Ecole de la deuxième Chance du Puy de Dôme, Responsable d'un Master en Ressources Humaines, Docteure en Sciences de Gestion (Université d’Auvergne). Elle a été notamment à l’origine de la mise en place d’un dispositif d’accompagnement des PME sur le champ des Ressources Humaines intégrant un centre de validation des compétences en entreprises agrée par l’ACFCI et l’AFNOR. Ses thèmes de recherche portent sur l’impact des dispositifs d’intervention en GRH dans les PME et sur l’innovation sociale. Elle est également à l'initiative avec 4 autres chercheurs de l'ESC Clermont, d'un programme de recherche - action sur la libération des entreprises et le management post moderne.
Bibliographie
Caillé A, Grésy J.E (2014). La révolution du don. Editions du Seuil.
Clot, Y. (2015). Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psycho-sociaux, (1ière édition 2010), Paris La Découverte.
De Gaulejac V, Mercier A (2012) Manifeste pour sortir du mal-être au travail. Desclée de Brouwer.
Gadrey J. (2015), Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire, Paris, Les Petits matins, 2015, 215 p., 1ère éd., 2010.
Gomez, P. Y. (2013), Le travail invisible. Enquête sur une disparition, Paris, François Bourin Éditeur.
Lallement M (2010) Le travail sous tensions. Sciences Humaines Editions
Méda D. (2010). Le travail, une valeur en voie de disparition. Flammarion, coll. Champs Essais.
Meda D. (2013) La Mystique de la croissance. Comment s’en libérer ? Flammarion, coll. Champs Essais.
Sen A (2010). L’idée de justice.Flammarion.
Supiot A (2015) Critique du droit du travail. (1ière édition 1994), 3ième édition, Quadrige.
Weber M. (1904- 1905): L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, 2004
Clot, Y. (2015). Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psycho-sociaux, (1ière édition 2010), Paris La Découverte.
De Gaulejac V, Mercier A (2012) Manifeste pour sortir du mal-être au travail. Desclée de Brouwer.
Gadrey J. (2015), Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire, Paris, Les Petits matins, 2015, 215 p., 1ère éd., 2010.
Gomez, P. Y. (2013), Le travail invisible. Enquête sur une disparition, Paris, François Bourin Éditeur.
Lallement M (2010) Le travail sous tensions. Sciences Humaines Editions
Méda D. (2010). Le travail, une valeur en voie de disparition. Flammarion, coll. Champs Essais.
Meda D. (2013) La Mystique de la croissance. Comment s’en libérer ? Flammarion, coll. Champs Essais.
Sen A (2010). L’idée de justice.Flammarion.
Supiot A (2015) Critique du droit du travail. (1ière édition 1994), 3ième édition, Quadrige.
Weber M. (1904- 1905): L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, 2004