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Les 4 Temps du Management - Réinventer le Management
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Les 4 Temps du Management

Chroniques impertinentes

Coach ou psy : le piège ! par Fanchic Babron et Nathaël Moreau


Le travail de supervision que nous menons tous les deux met en évidence la confusion à laquelle peuvent être confrontés les coachs débutants (ou expérimentés parfois) entre coaching et psychothérapie. Largement commentée par nos instances professionnelles et les auteurs reconnus dans nos métiers, cette confusion s’accroît avec l’hypermodernité. Nous assistons en effet à un développement de la culture du bien être en même temps que celle de la « maîtrise de soi » et de la performance. Cette ambivalence entretient la confusion des frontières entre vie professionnelle et vie personnelle, familiale, sociale. Nous partageons souvent tous les deux sur ce thème et vous proposons quelques réflexions issues de nos échanges.

Des situations équivoques, des risques certains

D’abord des constats liés à la pratique du coaching en entreprise :
  1. En tant que coachs intervenant dans et pour les entreprises, nous pouvons être confrontés à des situations où des pathologies, des déviances, et plus généralement des souffrances sont signifiées. Elles s’expriment souvent de manière implicite et parfois même de manière explicite. C’est aussi vrai pour toute personne intervenant en entreprise, dans le cadre d’une mission d’accompagnement de personnes ou d’équipes, en conseil ou en formation par exemple ; mais le cadre particulier qu’induit le coaching favorise l’expression ou l’observation de ces situations.
     
  2. Il peut y avoir de la part même des entreprises (DRH, Dirigeants) la tentation de « sous-traiter » la gestion des personnalités difficiles, ou bien les tensions relationnelles, les conflits. Ce phénomène connu de « hot patatoe » met le coach dans une situation embarrassante avec un risque d’instrumentalisation, surtout s’il méconnait le diagramme du triangle dramatique de Stephen Karpman (Fairy Tales and Script Drama Analysis).
     
  3. La personne coachée, évoquant une situation de management, peut être amenée à décrire des situations plus personnelles, des difficultés rencontrées dans son histoire, exprimant à cette occasion des émotions réactivées. Le coach se trouve alors au cœur du mouvement entre transfert et contre transfert, la « zone contact » de la Gestalt.
     
  4. De façon évidente, le coaching s’inscrit dans le champ de la relation d’aide, dans la mesure où il fait appel à l’écoute active, l’empathie, la confrontation bienveillante. Il a de fait une dimension potentiellement thérapeutique. Mais, il est aussi potentiellement une relation d’influence, de manipulation, ou d’activation de jeux psychologiques et autres rackets.
Le risque pour le coach, confronté à cette réalité du mal être, de la souffrance ou de la déviance, est multiple.

Il y a en premier lieu le risque du sentiment de toute puissance.

Nous avons en tête des expériences de « jeunes coachs » tout frais émoulus de leur formation, et de coachs affirmés dans des paradigmes, confondant les modèles et grilles de lecture apprises en formation avec la réalité. « La carte n’est pas le territoire » disait Alfred Korzybsky De même, le modèle n’est pas la personne : il n’y a pas de Travaillomane, Type 8, Sois Fort, INFJ, et autres typologies déterminées et déterminantes. Il n’y a que des personnes, des individus et la dynamique d’une relation interindividuelle. Il est donc question ici de la « posture » du coach : qualité d’être et compétences.

Les compétences ne sont pas uniquement celles apprises (les diplômes et autres certificats faisant office de légitimation). Elles sont celles qui sont expérimentées, incarnées, et vécues. Il n’est pas de coach sans un travail personnel de connaissance de soi, sans être entré dans le labyrinthe pour se confronter à son Minotaure.

Il y a dans les entretiens de coaching des relations transférentielles non maitrisées : au moins par le client, et souvent par le coach. Chacun peut devenir pour l’autre une surface de projections. Le coach peut s’identifier à son client, ou bien projeter sur lui ses propres représentations. Il peut aussi subir les projections de son client en ne les identifiant pas, et en ne mettant pas la distance nécessaire. Par sa posture d’écoute empathique et de confrontation bienveillante, le coach peut se voir assimilé à un Idéal du Moi, une sorte de modèle « sachant » et supposé serein face aux turbulences de l’entreprise et la responsabilité des managers.

Pour le coach, le fait de se trouver devant une personne qui expose des difficultés personnelles peut procurer un sentiment de réconfort, parfois de supériorité : la position de vie OK-/+ passe en OK+/- (Franklin Ernst), ou dit autrement, le Moi Idéal du coach est exacerbé (un « Moi boursouflé », ou « sa majesté bébé » de Sigmund Freud). Le danger est bien le sentiment d’omnipotence et d’omniscience, induisant un rapport malsain entre le coach et son client.

Nous avons été nous mêmes confrontés à ces questions de manipulation, de projection, de croyances, de scénarios imposés à nos coachés parce que nous pensions savoir. Le retour d’expérience appelle à l’humilité.

Il y a ensuite le risque pour le coach de formuler un projet pour son client : soit de vouloir absolument l’aider (et pourquoi pas le sauver), soit de vouloir développer des savoir-être ou des savoir-faire que le client lui-même n’a pas évoqués, ou encore d’engager le travail sur des scénarios d’avenir que seul le coach envisage. Il peut y avoir chez le coach le désir de développer le bien être de son client à tout prix : parce que cela est à la mode, parce que la situation dans laquelle se trouve le client émeut le coach, parce que le coach aimerait bien se sauver lui-même…

Parfois, c’est l’entreprise elle-même qui met le coach dans une situation plus proche de la psychothérapie que du coaching. Cela peut être le cas lorsqu’elle est confrontée à une personnalité difficile ou déviante, ou bien lorsqu’une souffrance psychique devient trop forte pour un individu. Le coach peut être appelé comme un « sauveur magique », un recours facile, qui évite de « faire du bruit », ou de demander l’intervention du médecin du travail. Lorsque la demande est ambigüe, peu explicite, il peut être difficile pour le coach de refuser d’intervenir. Le coach ne doit pas devenir un sous-psy voire un ersatz de psy, ce qui ne doit en rien affecter ses capacités d’analyse, de synthèse et de renvoi miroir.

Ce cas d’instrumentalisation du coach par l’entreprise est d’autant plus délicat qu’il peut cacher une problématique plus grave : la déviance ou la souffrance d’un individu peut être l’expression symptomatique d’une pathologie du collectif, d’une déviance ou d’une souffrance de l’organisation. Traiter le cas individuel peut être une manière, consciente ou pas, de ne pas aborder le vrai problème. Le coach se fait alors le complice de ce déni ou de cette résistance.

Des compétences proches, en évitant la confusion des métiers

Le coaching et la psychothérapie sont deux formes différentes d’accompagnement des personnes. pour au moins trois raisons :
  1. L’entreprise n’est pas le lieu de la thérapie. D’abord, parce que le simple fait d’une prise en charge économique du coaching par l’entreprise n’est pas compatible avec la nécessaire responsabilisation du patient (et la question de la valeur symbolisée par le prix de la séance thérapeutique). Ensuite, l’entreprise n’est pas le lieu du soin. Si elle soigne ses employés, c’est avant tout dans son intérêt, dans l’intérêt même de sa raison d’être. Elle n’a pas vocation à la philanthropie, encore moins quand elle le laisse croire.
     
Le coach doit être conscient qu’il est confronté aux ambivalences de l’hypermodernité :
  • il est porteur d’une vision humaniste de l’entreprise, tendant à restituer à l’homme sa liberté et sa responsabilité, et à promouvoir l’idée d’une entreprise inscrite dans son environnement social, sociétal, culturel et écologique
     
  • il est aussi en même temps le soutien actif d’un modèle en mutation : celui de l’entreprise hyperproductiviste, financiarisée, « agile », étendue et complexe.
Il est important qu’il agisse en conscience de cette ambivalence, sachant garder la « juste distance », adopter la « juste posture », c'est-à-dire être éthique, dans le respect de ses convictions, des besoins de son client coaché, et des enjeux de l’entreprise.
  1. Le coach n’est pas suffisamment préparé, dans la majeure partie des cas. Combien de coachs avons-nous rencontrés, certifiés par des organismes qui « imposaient » un travail sur soi, et qui ne l’avaient pas encore initié sérieusement ? Seul un travail de connaissance de soi approfondi permet de traiter les zones aveugles et la part d’ombre, de savoir gérer les transferts et contre-transferts, de mettre la distance suffisante, de régler la question du rapport à l’argent, ou à la toute puissance. Et puis, la plupart des coachs n’ont pas le minimum des connaissances requises en psychologie clinique et en psychopathologie. Alors que se passe-t-il lorsque le coach soulève le galet des croyances limitantes de son coaché, le galet des projections, des introjections et des rétroflexions, celui des scénarii et des gestalts inachevées ? Comment fait-il pour les identifier, les aborder, les traiter s’il n’a que des grilles de définitions d’objectifs et des protocoles en pyramides ou en cercles ?
     
Le projet du coach, de notre point de vue, est d’approfondir sans cesse sa pensée, de réfléchir, de partager et de confronter sa pratique, de mener une introspection, bref de relever ce formidable défi de la vie : connaissance de soi et individuation.
  1. Enfin, la personne coachée n’est pas demandeuse, en tous cas pas de manière explicite, d’un accompagnement thérapeutique. Et cette raison là est peut-être la plus importante.
     
Le coaching est inscrit dans la quête de résultat : « Qu’attendez-vous du coaching ? Que souhaitez-vous obtenir ou changer ? Ce but est-il accessible ? Réalisable ? Sous votre contrôle ?  En quoi est-ce important pour vous de l’atteindre ? Quel objectif pouvons nous assigner au travail que nous allons entreprendre ensemble ? »

La psychothérapie quand à elle est inscrite dans la connaissance de Soi : on y évoque des questions existentielles, de responsabilité, de sens, d’introspection, d’analyse, de reconstruction, d’estime, de mieux être.

Quelques recommandations, de bon sens

Le travail thérapeutique est centré sur soi, soi et son vécu, soi et son environnement social, alors que le coaching est centré sur les enjeux de l’entreprise, sur soi et l’entreprise, soi et ses rôles au sein de l’entreprise, soi et les autres acteurs de l’entreprise et de son environnement.

La frontière semble nette mais les situations réelles sont parfois complexes et peuvent laisser le coach hésiter face à l’attitude à adopter. Lors d’un entretien de coaching où la personne coachée évoque des questions ou des situations personnelles, le rôle du coach est d’écouter et d’accueillir, tout en se gardant d’encourager son client à approfondir (et encore moins de le précéder dans cette évocation). Vient ce qui vient, sans avoir forcément à le comprendre ni à le traiter.

Les coachs tout autant que les psychothérapeutes ont besoin de connaissances psychologiques, philosophiques, spirituelles, et d’une recherche continue de connaissance de soi en confrontation avec un ou plusieurs pairs. Tous les centres de formation de coachs recommandent la supervision : quand nous parlons de supervision, nous parlons de liberté, d’altérité, d’humilité, pas d’encartage à quelque organisme formaté et formatant, ou d’idéologie. Nous parlons d’éthique, pas de morale.

Le travail sur soi et la supervision sont indispensables pour garder la vigilance nécessaire vis-à-vis des zones aveugles et des parts d’ombre. Cette démarche peut être complétée utilement par une formation initiale à la psychopathologie et à la psychologie clinique (Lyon II propose des postcasts intéressants à ce sujet).

Fanchic BABRON  est coach de dirigeants et superviseur de coachs. Nathaël MOREAU est à la fois psy-thérapeute, coach et superviseur de coachs. Tous deux ont créé la démarche Hepta de caractérisation de la personnalité managériale, et d'accompagnement des managers.

Coachs et superviseurs de coachs de dirigeants, Fanchic Babron et Ntahaël Moreau animent par ailleurs des programmes d'études et recherche sur l'évolution des modes de management et de gouvernance des entreprises. Tous deux ont créé la démarche Hepta de caractérisation de la personnalité managériale, et d'accompagnement des managers.

Ils interviennent dans de nombreuses grandes entreprises françaises dans le cadre de la societé Axile et ont également publié "Les 7 talents du manager leader " aux Editions Vuibert.


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