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Le Temps des Valeurs

4.86 Comment la raison d’être impacte la stratégie de l’entreprise

Par Emilie Bourlier-Bargues (Groupe ESC Clermont Business School) et Bertrand Valiorgue (Université Clermont Auvergne) , Enseignants Chercheurs en Management et Stratégie


Introduction

4.86 Comment la raison d’être impacte la stratégie de l’entreprise
De plus en plus d’entreprises inscrivent dans leurs statuts une raison d’être afin de manifester leurs intentions de relever les grands défis sociétaux et environnementaux auxquels nous sommes collectivement confrontés. Néanmoins pour que la raison d’être ne reste pas un vœux pieu, elle doit s’accompagner d’un questionnement de fond sur la stratégie de l’entreprise. L’enjeu clé est de parvenir à construire un projet stratégique permettant de donner de la consistance à la raison d’être de l’entreprise. Quatre dimensions complémentaires peuvent être identifiées et travaillées dans ce sens.

La raison d'être d'une entreprise selon Michelin 


Définir ou repréciser l’intention stratégique

Développée par Messieurs Hamel et Prahalad, la notion d’intention stratégique désigne simultanément une vision de l’avenir du secteur d’activité et une précision des contributions que l’entreprise souhaite apporter à partir de son savoir-faire et des ressources qu’elle maîtrise. La raison d’être donne un supplément d’âme à cette intention stratégique en définissant la contribution essentielle que l’entreprise souhaite apporter à la vie de la Cité. Elle nourrit l’intention stratégique et lui donne de la substance.  
 
La revendication d’un niveau de performance, d’une part de marché dans son secteur, la maîtrise d’une technologie particulière ou d’un type d’avantage concurrentiel sont placés au second plan par rapport à une contribution d’intérêt général. Le PDG de Danone, Emmanuel Faber, parle de la souveraineté alimentaire pour décrire le rôle qu’il entend faire jouer à son groupe dans l’industrie alimentaire. À travers cette raison d’être, il positionne la stratégie de son entreprise par rapport à un défi sociétal de première nécessité et propose que Danone soit désormais évalué à l’aune de sa contribution à cet objectif.

La définition et l’inscription d’une raison d’être dans les statuts de l’entreprise amènent nécessairement à définir ou repréciser l’intention stratégique de l’entreprise. Si la raison d’être ne questionne pas ou n’interroge pas l’intention stratégique de l’entreprise alors elle ne servira à rien et pourra très rapidement se montrer contre-productive. La raison d’être est la boussole de l’intention stratégique de l’entreprise.

Avec l’inscription d’une raison d’être, l’intention stratégique renvoie à une contribution à l’intérêt général, à un rôle précis et spécifique que l’entreprise entend jouer pour la société dans son ensemble. Le caractère réaliste et atteignable de cette intention stratégique guidée par la raison d’être impose un exercice de balisage à travers des objectifs concrets, mesurables et délimités dans le temps. En dehors de ces objectifs assumés et communiqués, les dérives vers un simple exercice de communication et de "purpose-washing" ne sont jamais loin.

Nous résumons dans le tableau ci-dessous les étapes et éléments qui vont conduire une raison d’être à se matérialiser dans une intention stratégique balisée par des objectifs concrets et mesurables.

4.86 Comment la raison d’être impacte la stratégie de l’entreprise

Faire l’inventaire des ressources et compétences stratégiques

La formulation de la raison d’être qui va se traduire par la formalisation d’une intention stratégique et d’objectifs ne constitue pas un simple exercice intellectuel. Elle implique un inventaire des actifs stratégiques et des ressources de l’entreprise.

Il est bien évident que si l’entreprise avait les ressources et les compétences susceptibles de lui permettre d’élargir sa contribution à la vie de la Cité et de mieux participer au progrès social et environnemental, l’exercice de réflexion autour de sa raison d’être serait tout simplement caduc. C’est parce qu’elle manque de ressources et de savoir-faire que l’entreprise souffre d’un déficit de contribution au progrès social et environnemental.

L’exercice de réflexion et de formalisation de la raison d’être doit mettre en évidence ce que sait faire l’entreprise mais également ce qui lui manque et qu’elle doit apprendre à faire. Les dirigeants qui n’arrimeront pas l’inscription de la raison d’être à un diagnostic des actifs et ressources stratégiques auront toutes les peines du monde à remplir la mission qu’ils ont fixée à leurs entreprises.

4.86 Comment la raison d’être impacte la stratégie de l’entreprise

Evaluer la pertinence et la durabilité du portefeuille d’activités

Au fur et à mesure de leurs histoires, les entreprises opèrent parfois des mouvements de diversification vers des métiers et secteurs très différents. La définition de la raison d’être interroge directement ces choix stratégiques. Cette interrogation se situe à deux niveaux.

La première question consiste à vérifier si les différents domaines d’activités participent à une seule et même raison d’être où s’ils répondent à une logique de conglomérat auquel on ne peut pas associer un sens commun et une mission globale. Autrement dit, la raison d’être interroge la cohabitation des différents domaines d’activités au sein d’une seule et même entreprise.

Par ailleurs, la raison d’être interroge la cohérence de chaque domaine d’activité au sein du portefeuille d’activités de l’entreprise. Certains domaines peuvent avoir la capacité de participer au progrès social et environnemental visé, alors que d’autre peuvent au contraire s’avérer problématiques voire inconciliables.
Construire une raison d’être passe par l’établissement d’une cohérence d’ensemble du périmètre d’activité de l’entreprise. Cela implique de revisiter des choix stratégiques du passé et éventuellement d’accepter d’abandonner certaines technologies ou savoir-faire industriels.

Cette évaluation du portefeuille d’activités au prisme de la raison d’être renvoie à une dimension essentielle et particulièrement sensible car elle engage inévitablement une remise en cause des investissements, des actifs industriels et des emplois associés.


Repenser les frontières et les interactions avec les parties prenantes

Les relations avec les parties prenantes doivent elles aussi être revisitées. Si les entreprises ont intégré depuis plusieurs années la prise en considération des attentes des parties prenantes dans leur réflexion stratégique, cela s’inscrit jusqu’ici essentiellement dans une logique de poursuite de leurs intérêts économiques.

La définition d’une raison d’être change la donne. Elle impose de sortir de cette logique défensive et d’inscrire les relations avec les parties prenantes dans une logique de poursuite de progrès social et environnemental. Elle invite à redéfinir les frontières de l’entreprise et les relations avec les parties prenantes.

La raison d’être nécessite de nouvelles formes de collaboration pour aider l’entreprise à changer ou stopper les pratiques qui ont le plus d’impacts négatifs. Cela peut conduire par exemple à se séparer de certains fournisseurs du fait des matériaux qu’ils utilisent ou des conditions de travail qu’ils imposent à leurs salariés. Cela peut conduire aussi à trouver des formes de coopérations nouvelles pour mieux mesurer ou intégrer dans ses décisions les impacts de son activité. Danone a par exemple lancé un projet de transformation majeur qui vise à limiter au maximum l’usage d’emballages en plastique. Cela suppose d’arrêter d’anciennes collaborations et de trouver de nouveaux fournisseurs susceptibles d’apporter des technologies nouvelles.

Pour mettre en œuvre sa raison d’être l’entreprise doit donc repenser ses frontières afin de s’entourer des parties prenantes qui l’aideront à accomplir sa mission et sa contribution au progrès social et environnemental. Ici aussi les décisions sont loin d’être simples car cela veut dire également arrêter certaines relations commerciales avec d’anciens partenaires qui s’avèrent en décalage avec la nouvelle stratégie de l’entreprise.

Intervention de Martin Richer 


Une décision à ne pas prendre à la légère

L’inscription d’une raison d’être peut redonner de la cohérence et de la consistance à la stratégie de l’entreprise. L’inscription dans les statuts constitue la partie la plus facile et la plus visible de ce processus. À moins de se contenter d’un exercice de communication et de maquillage, la modification des statuts et de l’objet social de l’entreprise implique une redéfinition de la stratégie, un inventaire des ressources et compétences pour faire ressortir les déficits et donc les besoins d’investissements. Elle implique également une remise en cause du périmètre de l’entreprise et l’arrêt potentiel de certaines activités. Elle passe enfin par la mise en place de nouvelles collaborations pour résoudre les problématiques sociales et environnementales. L’inscription d’une raison d’être implique une évaluation générale de la stratégie de l’entreprise. Il s’agit d’un exercice d’inventaire qui ne manquera pas d’entraîner des décisions complexes et difficiles s’il est mené avec sérieux et détermination.

Bibliographie


Présentation des auteurs

4.86 Comment la raison d’être impacte la stratégie de l’entreprise
Emilie Bourlier-Bargues est Docteur en Sciences de Gestion. Elle enseigne la théorie des organisations, le management et l’intrapreneuriat au sein du Groupe ESC Clermont.

Ses recherches portent sur les processus de socialisation organisationnelle, l’intrapreunariat, l’innovation, et la gouvernance des entreprises. Depuis 2010, elle est Professeur en Comportement des hommes & Théorie des organisations à L'ESC Clermont. 

Bertrand Valiorgue  est Professeur en stratégie et gouvernance des entreprises à l’IAE Clermont Auvergne. Ses recherches portent sur la gouvernance des entreprises, la responsabilité sociale et le management stratégique des externalités négatives. Il a été visiting scholar à la London School of Economics. Ses travaux ont été publiés dans des revues de références françaises et internationales (Revue Française de Gestion, M@n@gement, RFSE, Business and Society, Journal of Business Ethics). Il a codirigé de 2012 à 2019 la Chaire Alter-Gouvernance spécialisée sur la gouvernance des coopératives agricoles

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