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Les 4 Temps du Management

Le Temps des Valeurs

4.77 Ou est passé la question du bien commun dans les sciences de gestion ?


Résumé

4.77 Ou est passé la question du bien commun dans les sciences de gestion  ?
Le modèle qui a dominé jusqu’à présent les Sciences de Gestion touche à sa fin mais la plupart de ceux qui les diffusent l’ignore. Le développement et la gestion des entreprises ne pourra plus se fonder sur les énergies fossiles trop coûteuses et en voie d’épuisement ni sur des conceptions du pouvoir aussi hiérarchiques. Les catastrophes climatiques annoncées sont déjà perceptibles dans leur gravité. En luttant pour survivre contre ce qui apparait comme la fin d’un monde, il semble bien qu’un autre modèle émerge mais il est encore difficilement identifiable.  En l’observant d’un peu plus près, on pressent bien qu’il va bouleverser les conceptions et les pratiques de gestion qui ont perdurées jusqu’à présent, parfois avec tant d’arrogance.

Mots clés : Sciences de gestion, anthropocène, modèle, changement, entreprise de mission
 
Cet article a fait l'objet d'une présentation lors d'une journée de recherche organisée par l'Institut de Psychanalyse et Management  à l'Université Montaigne de Bordeaux  (Département des Sciences de l'Information et de la Communication ). Il donnera lieu à une deuxième version entièrement remaniée avec un titre différent. 

Introduction

Les sciences de gestion se subdivisent en de nombreuses disciplines qui ont pour but d’éclairer l’action collective. Elles sont restées jusqu’à présent très centrées sur elles -mêmes ou pour être plus précis sur les enjeux de rentabilité du point de vue de la seule entreprise en excluant les externalités négatives générées par certaines décisions. Les récents événements climatiques et les prophéties inquiétantes des tenants de l'anthropocène sont en train de révéler les limites du modèle qui ont inspiré jusqu'à présent les pratiques gestionnaires des acteurs économiques. 

Produire en masse en incitant les consommateurs à consommer toujours plus sans évaluer les externalités générées par de telles orientations introduit un doute sérieux quant aux principes qui les fondent. Le but des décideurs était clair : générer les profits les plus élevés possibles au bénéfice généralement du seul capital sans se soucier du bien commun.  Dans la sémantique, cela s’est traduit par un concept qui a fait florès dans les années 90 :  celui de « valeur actionnariale ». Concrètement, cela signifie que la vocation d’une entreprise se réduirait avant tout à maximiser la valeur actionnariale, donc du capital.  

Cette unique finalité commence à poser question. Le  rapport réalisé par Nicole Notat et Jean – Dominique Senard en témoigne lorsqu’ils affirment qu’une entreprise ne peut se résumer « aux seuls intérêts particuliers des associés » (Notat, Senard, 2018) et qu’il est temps, que sa mission,  puisse aussi intégrer, si elle le souhaite, une mission d’intérêt général qui dépasse la seule dimension économique.  La loi Pacte, adoptée à la majorité par l'Assemblée Nationale le 9 Octobre 2018 a confirmé cette orientation. Le ministre de l’économie Bruno Lemaire annonce que cette loi va contribuer « à transformer notablement les entreprises françaises ». 

L’institutionnalisation de cette nouvelle vocation, qui a été longtemps préparée par les démarches de RSE n’est pas sans conséquences sur les finalités des sciences de gestion. Celles – ci devront en effet, de plus en plus prendre en compte l’impact des décisions sur l’environnement et la société tout entière.  

En introduisant, à travers cette loi, la dimension de l'intérêt général ce sont les finalités même de l’action collective des communautés entrepreneuriales qui sont remises en question et du coup les principes fondateurs des sciences de gestion qui y sont associés. Il s’agit donc d’une mutation majeure qui questionne leur épistémologie et sans doute aussi, bientôt, plus concrètement leurs méthodologies.  

Ce qui nous intéresse dans cette métamorphose, c'est le changement des idéalités qui sont ici nouvellement convoquées.  Face aux catastrophes qui s'annoncent avec une évidence angoissante, les sciences de gestion ne peuvent plus en effet rester closes sur elles-mêmes. Elles sont dans la nécessité de s'ouvrir aux nouveaux enjeux planétaires qui se préparent.  
Dans leur histoire, Il s'agit bien d'un moment d'exception dans la mesure où elles devront se détacher des croyances qui les ont déterminées. Si elles persistaient dans cet attachement, cela pourrait générer une crise sans précédent. 

Pour entreprendre ce qu’il faut bien appeler une révision, nous nous appuierons sur une démarche ethno méthodologique telle qu’elle est définie par Harold Garfinkel (2007). Elle s’appuie sur « des objets observables, rapportables, résumables à toute fin pratique « et sur une expérience d’immersion « quotidienne et banale » en tant qu’enseignant dans plusieurs grandes écoles de commerce. 

Parmi « les objets observables », on pourra citer la consultation de nombreuses de manuels de gestion utilisés pour la diffusion de leur enseignement, celle des plaquettes de présentation des programmes des principales grandes écoles de commerce, et enfin l’analyse des discours produits par la presse professionnelle à destination des cadres et dirigeants.  

Pour réaliser cette exploration, nous mobiliserons principalement les travaux produits par des philosophes des sciences de gestion que nous associerons en cours de route à certains concepts issus de la psychanalyse. 

La première étape consistera à tenter d’identifier le cadre paradigmatique dans lequel les sciences de gestion se sont si confortablement installées. Un rapide rappel historique permettra de mettre en évidence qu’elles se sont constituées essentiellement à partir des besoins instrumentaux des entreprises sans s’interroger profondément sur leurs finalités. Les travaux de recherche coordonnés par David, Hatchuel et Laufer (2012) enrichis de ceux de Martinet et Pesqueux (2013) seront de ce point de vue précieux. 

Nous ferons ensuite un état des lieux des grandes menaces qui mettent en péril nos équilibres planétaires en revisitant les travaux très alarmistes de chercheurs travaillant autour des questions de l’anthropocène (Latour (2015), Landivar, Monnin (2018), Desbiens – Desprès (2017). Les perspectives annoncées sont dramatiques puisqu’il s’agit ni plus ni moins d’envisager un effondrement multi – dimensionnel des cadres qui étayent nos existences. Parmi ces cadres, celui du capitalisme ultra libéral est évidemment envisagé. 
Dans la troisième partie, nous nous interrogerons sur les impacts que pourraient avoir ces inquiétantes prophéties sur les idéalités (Kaës, 2016) qui sous-tendent les principes et les pratiques des sciences de gestion qui devront peu ou prou s’ouvrir à une conscience planétaire de l’impact de leurs décisions.  Car il semble bien qu’entreprendre aujourd’hui ne puissent plus se concevoir non seulement sans nuire à la planète mais aussi sans désirer la sauver ou à en prendre soin. Ce passage d’une logique d’action fondée sur une dynamique gestionnaire « égocentrée » à une dynamique ecocentrée constitue une véritable métanoïa. Les sciences de gestion ne pourront plus faire l’économie de cette interrogation axiologique de leur action. Quel bouleversement !

1. L’impensé des sciences de gestion

Les sciences de gestion : un objet neutre ?

Les sciences de gestion se présentent essentiellement comme un ensemble de techniques au service de l’efficacité collective. Elle se prétendent en tant que telles exempt de toute idéologie.  « La technique ne porte intérêt qu’à elle-même ». (Ellul,198 :281) C’est de ce point de vue qu’elles sont utilisées et enseignées. Elles apparaissent comme « un objet isolé » qui n’est jamais envisagé dans son environnement.

Il y a plusieurs raisons qui expliquerait cette schizoïdie :
  • Une rapide anamnèse historique réalisée par David, Hatchuel, Laufer (2012 :23) nous rappelle que les sciences de gestion ont eu pour origine un projet éducatif. Entre1900 – 1939, il s’agissait de former en priorité les dirigeants d’entreprise qui possédaient avant tout une compétence technique mais étaient peu équipés pour la gestion économique de leur activité.
 
De 1947 à 1965, elles s’adressent aussi aux « cols blancs » qu’il fallait former pour assurer le développement de la croissance des entreprises.
A partir des années 1970, les savoirs gestionnaires se tournent résolument vers les techniques quantitatives dans le but de sécuriser la rationalité des décisions (March et Simon, 1966).
Il faut attendre les années 2010 pour voir apparaitre les premières interrogations sérieuses sur leurs fondements (Chiappelo et Gilbert, 2013 Pichault et Nizet (2015).
 
A cette détermination, se rajoute l’influence du monde anglo- saxon. On peut la mettre aisément en évidence à travers le fait que la plupart des théories, méthodes et outils qui sont enseignées sont issus des travaux de chercheurs américains.  Ce modèle anglo-saxon constitue incontestablement le modèle de référence auquel les sciences de gestion sont arrimées et derrière lui la philosophie pragmatique (Peirce (1868), James (2007, Dewey (2004)), qui les inspirent.

Ainsi, à travers ces deux constats, l’histoire des sciences de gestion en France et l’hégémonie de la référence anglo - saxonne, on peut comprendre qu’elles se présentent avant tout comme une pragmatique performative tournée vers les seuls intérêts de l’entreprise et qu’elles se soucient peu de développer une réflexivité sur elles-mêmes.
 
  • Selon Hatchuel, cette fois ci associée à Blanche Segrestin (2012), la question qui se profile derrière les fondements des sciences de gestion est celle de la définition même des finalités de l’entreprise. En droit des affaires, la finalité de celle – ci est avant tout centrée sur la rentabilité économique de l’activité. C’est donc dans la sphère économique, que leur légitimité prend sa source. Cela explique leur focalisation sur les profits et le fait que « les dirigeants sont sommés de travailler en priorité sur la valeur pour l’actionnaire ». Cette orientation ne prend absolument pas en compte le fait qu’une entreprise est d’abord « un projet de création collective » (Segrestin, 2015) qui produit non seulement des richesses pour l’actionnaire mais aussi des utilités pour la société et qui est le résultat de l’engagement en motivation et en compétences d’une communauté au travail. Pour Hatchuel et Segrestin, il s’agit là d’un déficit téléogique majeur qui génère ce qu’il faut bien appeler une véritable crise d’identité de ce qui signifie l’entreprise.
 
C’est cette conception réductrice de l’entreprise qui entraînerait selon eux l’encastrement des sciences de gestion dans les filets étroits de la recherche exclusive du profit à court terme excluant la prise en compte d’éventuelle externalités négatives sur les territoires et l’environnement climatique et sociétale. Cette tendance a été d’autant plus renforcée avec le développement de la financiarisation mettant en compétition les entreprises avec les performances réalisées par les « voltigeurs »de lafinance boursière.
 
L’encastrement imaginaire des sciences de gestion :
 
La théorie lacanienne des 3 sphères « Réel, Imaginaire, Symbolique » peut s’avérer ici précieuse pour révéler que ces comportements sont inséparables d’un imaginaire. Cette interprétation peut paraitre audacieuse, mais elle rejoint l’hypothèse de David, Hatchuel et Laufer qui assimilent les pratiques gestionnaires à des artefacts (2012 : 31) qui sont eux-mêmes l’expression d’une « métaphysique de l’action » qui les précèdent. Les sciences de gestion puisent leur inspiration dans « un mythe rationnel » (2012 :56) défini comme une « conception limitée du monde et d’autrui ». Ce mythe rationnel est ici celui du profit à court terme exigé par un capitalisme « cupide » (Stiglitz 2013). On peut à ce titre les considérer comme des signifiés de l’imaginaire collectif. Ceux - ci parlent d’un autre monde, d’une autre sphère dirait Sloterdijk (2011) qui les contient.
 
L’économiste Mireille Bruyère (2018) dans son livre « L’insoutenable productivité du travail » décrit bien la différence entre ce qu’elle appelle le raisonnable et le rationnel. Ce qui les rapproche et les distingue, dit – elle, en s’appuyant sur Aristote, c’est« que le raisonnable est doué d’une capacité de raisonnement (comme le rationnel) mais aussi de mesure et de sagesse ». C’est la recherche éperdue de l’accumulation de richesses qui ont fait muter le raisonnable en rationnel. Le rationnel consiste finalement à ne concevoir la richesse que sous l’angle d’une accumulation sans limite de l’Avoir. Et c’est précisément cette caractéristique qui permettrait de la considérer comme une forme imaginaire dans la mesure où son fonctionnement reposerait sur un fantasme de toute puissance. Autrement dit ce que nous appelons « rationnel » ne serait finalement que de « l’imaginaire institué » en normes (Castoriadis, 1975).Imaginaire qui consisterait à concevoir la création de richesse uniquement que comme le résultat de la maximisation des profits et la minimisation des coûts. On comprend alors pourquoi cette conception s’accompagne dans les pratiques d’une autre obsession celle « de la gouvernance par les nombres » (Supiot,2015) en faisant de ceux – ci la seule réalité tangible sur laquelle on puisse compter ; sans s’apercevoir qu’ils ne constituent qu’un aspect relatif du réel.
 
L’idéologie : grande muette des sciences de gestion
 
Les Sciences de Gestion présentent des caractéristiques étrangement proches de l’idéologie, telle en tout que Kaës (2016) la définit :
  • Elles sont muettes sur ce qui les anime en se réfugiant dans un pragmatisme résistant à toute interrogation
  • Elles assurent une fonction d’’Idéal auquel il faut se conformer sans déroger pour être autorisé à les utiliser et les … enseigner
  • Elles offrent « une vision de l’univers totalisante, une construction systématique »
  • Elles reflètent la position de la classe dominante en barrant « l’accès à la conscience de la nature vraie des rapports sociaux »
  • Elles ont « une fonction de protection contre les angoisses primaires » en imposant des dogmes qui ne sont en fait que des modes se succédant au grès des transformations de la société (Trepo, 2016).
 
Pour être reconnues et prises au sérieux comme une discipline à part entière, les sciences de gestion prétendent faire science. Mais pour Erwan Lamy (2015), elles n’en auraient que le désir. Pour le faire croire elles s’affublent de toutes les apparences de la science en exigeant du chercheur qu’il respecte de façon quasi obsessionnelle un protocole rigide de penser nécessitant de :
  • Pose des hypothèses
  • Choisir son camp épistémologique : positiviste, constructiviste, interprétativiste
  • Sélectionner un cadre de référence théorique précis de préférence mono disciplinaire
  • Utiliser une méthodologie rigoureuse si possible étayée par des approches quantitativistes
  • Respecter des règles d’écriture hyper normées
 
Le philosophe des sciences Erwan Lamy assimile ces manières de faire à « une dévotion infantile » qui relève d’un formalisme dont la fonction serait essentiellement d’éviter l’aléa, en d’autres termes de placer le raisonnement dans un ordre alors que par expérience la science est par nature « désordonnée, cacophonique, impure, approximative, imparfaite ». Citant Jouvenet (2007), il affirme que « la science est un bricolage perpétuel et citant Murray Gell Mann, prix Nobel de Physique que « l’entreprise scientifique ne se conforme pas exactement à un quelconque modèle précis dictant les règles de sa conduite » (Gell – Mann 1997 :99). La science réelle et non fantasmée serait donc selon lui le résultat d’une indiscipline.

On retrouve le même souci chez les économistes quand Frédéric Lordon avait écrit en 1987 un article avec un titre presque identique à celui d’Erwan Lamy. Le premier l’avait intitulé « Le désir de l’économie de faire science tandis que le second proposait  « Le  désir de faire science de gestion ». Dans les deux cas, les auteurs concluaient à la grande difficulté que ces disciplines avaient à le faire.

Le problème c’est qu’en se référant exclusivement au modèle positiviste des sciences prôné par Auguste Comte (1869) et finalement aussi au pragmatisme anglo-saxon, les sciences de gestion se limitent essentiellement au « comment » en privilégiant les seuls résultats quantitatifs. En evitant le questionnement sur  le « Pour quoi », les sciences positivistes se dispenseraient ainsi du sens de leur action.
 
La fonction défensive de la rationalité exclusive

On pourrait à ce stade se demander qu’elle serait la fonction de cette tentative permanente de dissimulation à travers la production de ce qui présente toutes les apparences d’un « faux self » (Laing, 1975). Le premier mobile est certainement la recherche d’une légitimité académique mais cette dissimulation a peut–être une autre fonction : celle de cacher des motivations moins avouables comme par exemple le désir de répondre aux injonctions du néolibéralisme prôné par Milton Friedmann et Hayek à savoir que « La seule responsabilité sociale de l’entreprise est d’augmenter ses profits » (Milton Friedman, The New York Times Magazine, 13 septembre 1970). Cette (im)posture serait assez contradictoire avec la matrice chrétienne dans laquelle baigne l’esprit du capitalisme. Il est en effet difficile d’avouer ouvertement une intention aussi égocentrique.

C’est à travers les premières descriptions des externalités négatives sur l’environnement et sur les individus qu’on commence à comprendre les limites d’un tel modèle dont quelques-uns (Segrestin &Hatchuel (2012), Gomez (1996)) considèrent qu’il devient insoutenable dans la mesure où il met en péril nos existences.

 

2. Les prophéties de l’anthropocène : ce réel inimaginable

 
- Ce que révèle le concept d’externalités négatives

Le concept d’externalités négatives a été formulé par Coase dans les années 1960. Il permet d’initier une première réflexion épistémologique sur la nature des connaissances produites. Jusqu’à présent ce n’était pas académiquement nécessaire puisque les sciences de gestion estimaient que leur principale préoccupation était l’action. Cette question a largement inspiré Charles Martinet et Yvon Pesqueux (2013) qui nous invitent à renouveler les sciences de gestion en intégrant la conscience des externalités produites par les organisations dans l’acte de gestion.

Ces externalités qui peuvent être positives ou négatives doivent faire partie du bilan de l’action des entreprises. Les externalités ou effets externes de l’activité économique  ont des conséquences positives ou négatives qui ne sont pas prises en compte par le marché et par le système des prix.

Stiglitz (2013) précise les choses en disant qu’il y a externalité « quand les coûts et les avantages liés à une transaction ne sont pas pleinement reflétés dans les prix de marché ». Les externalités positives sont des utilités crées pour d’autres acteurs. A l’inverse, les externalités négatives[[1]]url:#_ftn1 produisent des dommages ou des désutilités pour les autres acteurs. Cette absence d’évaluation rend les externalités tellement « discrètes » (Duval, 2017) qu’on évalue rarement leur coût réel. On prend souvent l’exemple de l’agriculture pour illustrer ce sujet.

Pour rendre l’agriculture plus productive et répondre ainsi aux besoins liés à la croissance démographique, les agriculteurs sur le conseil des chambres d’agriculture ont fait appel à des produits chimiques qui ont effectivement permis d’augmenter les rendements mais jamais n’a été pris en compte leurs impacts sur la raréfaction ou de la disparition de nombreuses espèces animales ou végétales, sur la pollution des nappes phréatiques et des cours d’eau qui les ont rendus impropres à la consommation humaine. L’agriculture est loin évidemment d’être la seule activité humaine à l’origine de ces effets iatrogènes (Illitch,1975).

Le courant de l’anthropocène

Le courant de l’anthropocène est apparu officiellement dans les années 2000 lors d’un colloque au Mexique consacré aux impacts humains sur la planète. Le prix Nobel de Chimie Paul Crutzen s’est s’exclamé après avoir écouté ses collègues géo stratigraphes : « Non ! Nous ne sommes plus dans l’Holocène, nous sommes …, nous sommes dans l’Anthropocène ». En 2002 il publie un article dans la revue Nature pour en donner une définition plus précise. Le terme d’anthropocène désigne une nouvelle ère géologique résultant des actions de l’Homme sur l’environnement mondial : perte de biodiversité, changement climatique, érosion des sols, etc…Le terme d’anthropocène considère que les changements en relation avec les activités humaines sont irréversibles et peuvent mettre en péril la survie de l’humanité.

Le concept d’anthropocène fait débat et a largement dépassé son cadre d’origine : la géologie. On le retrouve en mathématiques, physique, biologie, philosophie et plus récemment en anthropologie avec Bruno Latour (2015). L’anthropocène pose la question du devenir de la planète menacé de destruction par les externalités négatives produites par les activités humaines. Parmi celles – ci les activités agricoles, industrielles et commerciales jouent un rôle déterminant, voire majeur en fabriquant des externalités négatives pouvant mettre en péril l’équilibre global de la planète. Pour Armel Campagne (2017), on ferait mieux de parler de « Capitalocène » dans la mesure où les dérèglements pouvant contribuer à l’effondrement de la planète proviendraient en majeure partie de ce qu’il appelle « le capitalisme fossile » et de l’exaltation démesurée de nos besoins de consommation (Ziegler, 2018).  Pour être encore plus précis, une étude publiée en 2013 dans le journal of Climatic Change indique que seulement 90 entreprises seraient responsables de près de deux tiers des émissions de gaz à effet de serre. Certaines d’entre elles sont accusées de financer des campagnes de déni du changement climatique (Source : The Guardian – 20 Novembre 2013).

 Les termes employés pour décrire les effets iatrogènes des activités humaines et ou industrielles relèvent du registre de la catastrophe. Ils évoquent un risque absolu et font planer la possibilité « d’une mort immanente de l’humanité (Godin, 2009) ».  Il y a donc une urgence à prendre en compte cette nouvelle réalité. C’est tout en cas le sens de l’appel de 15000 scientifiques de 184 pays publié dans le Monde du 13 Novembre 2017 en pleine COP 23, constituant un deuxième avertissement après celui lancé en 1992 par 1700 scientifiques appartenant à l’ONG Union of concerned Scientists.
 
[[1]]url:#_ftnref1 Selon François Flahaut (2013) « on parle « d’externalité négative dans tous les cas où la production d’un bien marchand entraîne la dégradation d’un bien collectif.

Les signes de l’effondrement :
 
  • Atmosphère et climat
    • Augmentation du taux de CO2 à une vitesse sans précédent dans l'histoire de la Terre
    • Réchauffement global de la planète à cause de l'effet de serre créé par le CO2, ainsi que par le méthane (dont une partie est produite par les élevages bovins)
    • Tempêtes et inondations plus dévastatrices, mais aussi, sécheresse et désertification
    • Fonte de la banquise polaire et des glaciers
    • Elévation du niveau des océans, érosion accélérée des côtes
    • Modification des courants marins à cause du réchauffement et de la fonte des pôles
    • Trou dans la couche d'ozone, augmentation des rayonnements ultraviolets
       
  • Océans
    • Pollution des océans et des plaines océaniques côtières
    • La pollution par les hydrocarbures
       
  • Eau douce
    • Pollution des rivières, des fleuves, et des nappes phréatiques par les rejets industriels et les pesticides,
    • Eau de pluie devenue non-potable dans certaines régions industrialisées, et pluies acides provoquant le dépérissement ou la mort des arbres.
    • Pénuries d'eau douce à cause de la pollution, du réchauffement, et de l'exploitation intensive des nappes phréatiques par l'agriculture industrielle
       
  • Bio masse et diversité
    • Disparition des forêts, à cause de l'exploitation forestière, agricole, ou minière
    • Effondrement de la biodiversité
    • Disparition des insectes pollinisateurs, et donc à terme, des arbres et plantes à fleurs
    • Disparition des papillons et donc des larves et des chenilles, indispensables à de nombreuses espèces d'oiseaux pour nourrir leurs petits.
    • Dissémination d'OGM (transmission incontrôlée de gènes modifiés aux espèces naturelles)
    • Destruction des paysages sauvages par l'urbanisation et le tourisme intensif
       
  • Sols
    • Pollution en profondeur des sols
    • Chute de la densité des sols en micro-organismes
    • Appauvrissement des terres à cause de l'agriculture intensive
       
  • Virus et bactéries
    • Propagation des virus tropicaux aux zones tempérées à cause du réchauffement climatique
    • Chute de la densité des sols en micro-organismes
       
  • Géophysique
    • Déplacement du pôle magnétique et affaiblissement du champ magnétique terrestre.
    • Augmentation de l'activité volcanique et de la fréquence des tremblements de terre
    • Passage rapproché d'astéroïdes de plus en plus fréquent

3°) Pour une nouvelle axiologie de l’Action

Ce qui émerge comme signes signifiants :

Les pratiques de gestion, on l’a vu, sont surdéterminées par un modèle libéral centré sur ses seuls intérêts. Cet égocentrisme a un cout considérable pour la planète et le commun qu’on commence seulement à percevoir. Cet inventaire reste à faire peut – être dans le cadre d’un nouvel article…

Cependant, une prise de conscience collective semble s’opérer qui témoigne d’alternatives émergentes qu’il est important de repérer. Il est peut-être possible de concevoir ces nouvelles formes comme l’expression d’une nouvelle axiologie de l’action ; concrètement d’une façon différente de concevoir le développement et la gestion des entreprises.
 
Les apports de la RSE

Ce processus de transformation a déjà commencé avec le mouvement de la Responsabilité Sociale des Entreprises dans les années 1960. Il a pris le nom en 2011 de Responsabilité Sociétale des Entreprises à l’initiative de la Commission Européenne. C’est un concept qui invite les entreprises revendiquant cette orientation à intégrer dans leur stratégie de développement « les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes ». En adoptant des pratiques plus éthiques et plus durables dans leur mode de fonctionnement, elles sont invitées à contribuer à l’amélioration de la société et à la protection de l’environnement, en d’autres termes contribuer au développement durable. Les normes ISO 14001 et 26000 traduisent cet engagement en invitant les entreprises à formaliser :
  • Le mode de gouvernance de l’organisation
  • Respecter les droits de l’homme
  • Les relations et conditions de travail
  • Leur engagement vis-à-vis de l’environnement
  • La loyauté des pratiques
  • Les questions relatives aux consommateurs
  • Les communautés et le développement local
 
L’article 116 de la loi du 15 Mai 2009, de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement complète ces orientations en imposant aux entreprises cotées en bourse de produire un rapport sur les conséquences sociales et environnementales de leurs activités. Les lois du 3 aout 2009, 12 Juillet 2010 et 17 aout 2017 confirment et précisent ces obligations en intégrant notamment les relations avec les sous – traitants, fournisseurs en France et à l’étranger. Ce dispositif législatif a été à partir de 2013 complété par la mise en place d’une plate – forme chargée d’accompagner douze fédérations professionnelles pour la mise en place de label sectoriel. Depuis 2018, Il existe même un référentiel de RSE de 228 pages. Des initiatives intéressantes sont à signaler dans la logistique et la grande distribution.

Nul ne peut nier que la RSE est un mouvement vertueux. Elle peut avoir des impacts concrets sur la vie quotidienne et par conséquent sur les modes de gestion. Elle peut générer des innovations et inspirer des pistes   de différenciation.   L’exemple de certaines entreprises qui semblent jouer le jeu est de ce point de vue significatif quand elles affirment comme la Poste par exemple que la RSE peut contribuer à :
  • Accélérer l’économie circulaire
  • Démocratiser les déplacements propres
  • Favoriser la sobriété énergétique et les énergies renouvelables
  • Accélérer la rénovation des bâtiments
  • Constituer de nouvelles perspectives pour l’emploi
 
Mais derrière les discours, des études sérieuses nous montrent que le chemin est encore long comme celle  qui a été publiée par le journal Cleaner Production (Volume 163 – 1 – Oct. – 2017 : 106 – 117) recensant 40 000 rapports de RSE dans le monde pour montrer qu’entre 2000 – 2013, seulement 5% des entreprises des entreprises mentionnent les limites écologiques de la planète. Pratiquement aucune n’évoque l’épuisement des stocks de ressources avec lesquelles, elles vont devoir composer dans un avenir très proche. Sur 9000 entreprises analysées plus précisément dans l’étude, seules 0,3% prévoyaient d’aligner leurs indicateurs de performance de RSE sur les limites planétaires. En évitant de contextualiser leurs performances en lien avec ces indicateurs, les rapporteurs de l’étude s’interrogent sérieusement sur leurs capacités à respecter leurs engagements écologiques. Pour les citer, ils estiment que la RSE dans ce format « donne l’impression de fonctionner à vide ». Il s’agit pour eux « de passer d’une RSE dont l’objectif est d’améliorer les performances de l’entreprise à une RSE dont la logique est de mettre l’entreprise en adéquation avec les limites naturelles », en d’autres termes avec la planète !

Pour soutenir ce mouvement, les gouvernements européens ont mis en place la taxe carbone et les quotas d’émission de CO2 pour inciter les entreprises à produire à maîtriser et si possible à réduire leurs émissions de dioxyde de carbone qui contribuent le plus au réchauffement climatique.

La première taxe s’applique aux énergies fossiles consommées (pétrole, charbon, gaz) par les petites entreprises et les particuliers tandis que les quotas d’émission concernant les grandes entreprises impose un  droit d’émission limitée au-delà duquel elles doivent payer une taxe ou acheter à d’autres entreprises qui consomment moins tout ou partie de leurs droits à polluer.  

Les récentes augmentations de la taxe carbone sur les énergies fossiles ont été mal vécues parce qu’elles ont provoqué une hausse des prix pour se déplacer et se chauffer : ce qui a eu pour conséquence indirecte de baisser le pouvoir d’achat des citoyens. Leur but a été d’autant plus mal compris qu’elles apparaissaient en contradiction avec les promesses électorales de l’actuel président de la république et qu’elles ont été perçues comme injustes en particulier pour les personnes vivant en zone péri-urbaine et disposant d’un bas revenu.
 Quant aux « quotas à émissions de carbone », cela a généré un nouveau marché financier qui a fait l’objet de nombreuses critiques à cause de la délivrance de quotas excessifs accordés par les autorités concédantes avec des tarifs de quotas carbonés trop bas donc peu incitatifs. Les grandes entreprises concernées n’ont finalement guère intérêt à investir pour réduire leurs émissions. Sans compter la fameuse arnaque à la taxe carbone qui a permis à ceux qui l’avaient mise en place d’empocher près de 1,6 milliards d’euros.
Pour conclure sur ce sujet, la RSE apparait comme une première tentative de dégagement du modèle libéral basé sur l’économie fossile mais cette rupture ne se fait pas sans résistances. La plus grande étant celle d’accepter « le réel » de la fin d’un monde…
 
Définir une nouvelle raison d’être pour l’entreprise

Le récent rapport Senard et Notat (Mars 2018) sur le thème « Entreprise et intérêt général » est passé relativement inaperçu. Il met pourtant en évidence de nouveaux axes très prometteurs quant à la rénovation des modes de gouvernance de l’entreprise. On peut les résumer en 4 points qu’on retrouvera dans la loi PACTE qui a été votée à L’Assemblée nationale le 9 Octobre 2018 et passera devant le Sénat en Janvier 2019 :
  • Aucune société, même une société civile immobilière, ne peut faire complètement abstraction des enjeux sociaux et environnementaux de son activité. L’activité d’une entreprise ne se réduira plus si les fondateurs le souhaitent aux intérêts particuliers des associés.
     
  • La raison d’être définit l’objet social de la société. La finalité d’une entreprise doit répondre aussi à des besoins sociaux et sociétaux spécifiques. Elle peut exprimer la contribution qu’elle a l’ambition de développer auprès des différentes parties prenantes : clients, salariés, actionnaires, fournisseurs, sous – traitants, collectivités locales du territoire. Elle constitue une source d’inspiration pour les dirigeants de plus en plus sensible à cette réalité (Martin Richer, 2018). Sur le plan juridique, la raison d’être permet de dépasser la seule performance économique et insère l’entreprise dans la société. La raison d’être s’enrichit également de la notion de service rendu à la société. Total par exemple l’a formulé ainsi : « Fournir de l’énergie au plus grand nombre, au coût le plus bas possible, en étant la plus propre possible. Michelin, en se définissant non pas comme un fabricant de pneus mais comme une organisation ayant l’ambition d’offrir à chacun « la meilleure façon d’avancer » (mobilité) se positionne comme un acteur clé au service de la mobilité des personnes et des entreprises.
     
D’une certaine façon la raison d’être rejoint la notion de vocation, généralement menée dans le cadre d’une réflexion stratégique.[[1]]url:#_ftn1 Dans cette configuration, le sens de l’entreprise n’est plus seulement concentré sur les seuls intérêts des actionnaires mais s’ouvre aux besoins de l’environnement socioéconomique. Signalons encore que si les organes de délibération collective de toute société commerciale doivent se prononcer sur la raison d’être de l’entreprise, il n’est pas obligatoire de la faire figurer dans les statuts. Il s’agit d’une option ouverte à celles qui veulent devenir « entreprise à mission ».
 
  • Augmenter le nombre des administrateurs salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance de plus de 1000 salariés partir de 2019, en incitant à passer de deux salariés à partir de 8 administrateurs non-salariés et à trois salariés à partir de 13 administrateurs non-salariés
 
  • Toute compréhension de l’entreprise passe par sa comptabilité. Or les enjeux sociaux et environnementaux qui doivent être considérés, en sont absents. De même que le droit des sociétés a pu apparaître décalé avec la réalité, la comptabilité strictement financière ne donne pas une image fidèle de la pratique des entreprises. Une étude pourrait donc être engagée sur ce sujet.
     
Ce que nous apprennent « les alter- entreprises »
En réaction à l’hyper capitalisme, un nouveau modèle d’entreprise est en train d’émerger nommé par Yannick Roudaut (2008) « alter-entreprise ». A travers ce néologisme, il faut entendre une organisation qui ne fait pas de la rentabilité financière le seul but de l’entreprise. Son engagement affiché repose sur un triptyque « économie – environnement – social et la volonté de s’inscrire dans un développement durable et soutenable par rapport à l’environnement et les ressources humaines qui sont mobilisées pour ce projet. »
Elle constitue une nouvelle voie en cours d’invention qui prétend constituer une « alternative au capitalisme aveugle et irresponsable » (2008 :210). L’auteur nous présente quelques exemples concrets d’entreprises qui sont dans le secteur marchand et qui s’efforcent de combiner ces facteurs démontrant ainsi qu’une autre conception de la « Valeur »  est possible.

Lea Nature par exemple fait partie de ces entreprises pionnière. Fondée par Charles Kloboukof en 1993. Elle rassemble 800 salariés(e)s qui réalisent aujourd’hui un chiffre d’affaires de plus de 150 millions d’euros en distribuant des produits alimentaires, des produits d’entretien de la maison et des cosmétiques « bio ». Pour le dirigeant, « la rentabilité n’est pas la finalité de l’entreprise, c’est une contrainte » (Roudaut, 2013 :50). Elle affiche l’ambition aussi de servir les territoires en privilégiant les productions locales et la planète en soutenant financièrement des actions de lutte contre le réchauffement climatique. L’entreprise est certifiée Iso 26000 et est par ailleurs la première entreprise en France à être labellisée Engagement Climat.  La création de valeur qui est envisagée dépasse la seule dimension économique puisqu’il s’agit de produire et de vendre des produits qui ont une utilité pour la santé des Hommes en limitant le plus possible les externalités négatives (en particulier au niveau du conditionnement des produits).

Lea Nature n’est pas la seule entreprise emblématique de ce mouvement émergeant. On citera également des entreprises comme Piola fabricant et distributeur de chaussures à partir de matières issues du monde végétal ; Les Vignerons du Buzet, coopérative en difficulté économique dont le redéveloppement a été possible en passant d’une viticulture traditionnelle (c’est-à-dire chimique) à une viticulture faisant appel exclusivement à des produits phytosanitaires ; l’entreprise Génération Energie Nouvelle que nous avons accompagnée dans un projet d’économie circulaire consistant à fabriquer des mâts d’éclairage à partir de déchets de pneus produits par l’entreprise Michelin ;  Metabolic Explorer, une entreprise de bio- chimie qui propose de remplacer les composés chimiques produits à partir d’hydrocarbure utilisés dans la fabrication de médicaments, de cosmétiques de peintures, etc...par des substances issues du monde végétal
Les alter - entreprises apparaissent comme porteuses d’un nouveau modèle de business qui remet en question la conception qui a prévalu jusqu’à présent en termes de création de valeur. Elle suggère une approche plus ouverte cherchant à prendre en compte l’ensemble des parties prenantes. Elles annoncent assurément un changement profond encore en construction dans les modes de gouvernance des entreprises.


 Une autre façon d’utiliser les ressources financières 

De son coté, contrairement à ce qu’on pourrait penser, la sphère financière elle-même n’est pas en reste. Il existe aujourd’hui une quarantaine de fonds éthiques qui proposent des centaines de placements dits éthiques ou responsables. L’investissement socialement responsable (ISR) consiste à intégrer des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans des actifs sélectionnés. Il cherche à concilier performance économique et impact positif sur l’environnement. Le site Label ISR recense à ce jour 178 fonds responsables. Des études académiques (Truquin, 2018) montrent que les performances économiques sont considérées comme équivalentes, voire meilleures sur la durée que celles des fonds de placements traditionnels. L’ISR encoure les mêmes risques que les autres investissements, cependant, il conduit des entreprises concernées à davantage les anticiper ce qui contribue à les rendre plus résistantes aux aléas. 

 Le capital est souvent mis en accusation.  Un groupe d’économistes engagés politiquement (Hessel, Jouzel, Larroutourou, 2018) proposent de remettre la finance au service du Bien Commun à travers la création d’une banque européenne d’investissement dédiée à 100% à la question du climat Ce projet intitulé « Pacte Européen Finance Climat Emploi » a été présenté à une commission européenne qui a donné un avis favorable à son exploration.
Ils partent d’un constat unanimement partagé sur les effets du réchauffement climatique sur les populations[[2]]url:#_ftn2 et sur le fait que 95% des causes proviennent de l’activité humaine pour évaluer la nécessité d’investir chaque année en Europe 1,115 milliards d’euros pour atteindre les objectifs de l’Union à l’horizon 2030. Si aucune mesure n’était prise ce coût serait de 190 milliards.

Ils rappellent fort justement que lors de la crise financière de 2008 la BCE a investi 1000 milliards pour sauver les banques (dont 233 milliards à taux négatifs - Les échos du 23 Mars 2017) et qu’il faudrait faire de même pour sauver le climat. L’essentiel de ces 1000 milliards qui sont devenu en 2015,  2500 milliards   sont allés sur les marchés financiers et seulement 11% ont eu un impact sur l’économie réelle.

Si chaque année, chaque pays européen investissait 2% de son PIB à taux 0, nous pourrions maîtriser selon ces experts les méfaits climatiques. Pour y parvenir, il faudrait doter l’Europe d’un vrai budget « climat » en créant une banque indépendante totalement dédiée à ce bien commun qu’est la planète. Pour réunir les fonds nécessaires, ces experts proposent de :
  • Créer un impôt commun de 5% sur les bénéfices quelle qu’en soit l’origine
  • L’obligation pour les gouvernements d’isoler tous les bâtiments publics et privés
  • Développer les énergies renouvelables
  • Augmenter e prix du carbone
  • Orienter les fonds d’investissement privés vers des investissements verts
 
Ils estiment que ces mesures permettraient de créer, seulement en France, près de 600 000 à 900 000 emplois entre 2020 et 2050. Ces mesures nécessiteraient effectivement par ailleurs de refonder un nouveau traité européen par référendum. L’année 2018 est perçue comme une année cruciale pour entreprendre cette métamorphose.

 
 
[[1]]url:#_ftnref1 Mais généralement trop rapidement abordée
[[2]]url:#_ftnref2 On prévoit dans le monde près de 140 millions de personnes déplacées en 2050 pour des raisons climatiques

Conclusion

Les différents éléments que nous venons de présenter apparaissent comme des signes manifestant l’émergence d’un autre monde tandis que l’ancien s’efface progressivement non sans résister. C’est une période de transition inévitablement angoissante car les contenants trans subjectifs qui assuraient la continuité de raisonnement sont en train de se rompre.  Les sciences de gestion n’échappent pas à cette rupture car « les anciens codes encodeurs » (Kaës, 2013), qui les structuraient n’assurent plus cette fonction.

En intégrant la sauvegarde de la planète et celle des générations futures, les sciences de gestion sont condamnées à sortir de leur fermeture pour passer à une « posture écocentrée ».  Ce sont de nouvelles idéalités et de nouveaux comportements qui seront désormais à l’œuvre. Il ne s’agit plus d’une simple transformation mais d’une véritable métanoïa.  

 Les sciences de gestion seront – elles capables d’une conversion aussi radicale ? Celle – ci pourra t – elle se faire sans une exploration de l’imaginaire inconscient et de l’idéologie que les a jusqu’à présent inspirées ? Sauront – elles dépasser la fascination du court terme pour intégrer le long terme ?  Seront – elles capables de se tourner vers la planète ?

JC Casalegno
Enseignant Chercheur en Management
Groupe ESC Clermont

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