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Les 4 Temps du Management - Réinventer le Management
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Les 4 Temps du Management

Le Temps des Valeurs

4.40 Comment mettre en place une démarche de management libéré ?

Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l'essentiel. Elles ne vous disent jamais : "Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu'il préfère ? Est-ce qu'il collectionne les papillons ?" Elles vous demandent : "Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ?" Alors seulement elles croient le connaître.

Antoine de Saint-Exupéry


Le management libéré : une nouvelle mode ?

Depuis la publication du livre d'Isaac Getz (Liberté & Cie co- écrit avec Brian M. Carney), présentant diverses entreprises ayant mis en place un type de management alternatif, le concept d'entreprise libérée n'en finit pas d'alimenter la rumeur, suscitant de fortes espérances dans les milieux bien pensants du management, qu'isl soient académiques ou empiriques.

Les exemples très convaincants présentés dans cet ouvrage, très bien résumés par Aurélie Duthoit comme Harley Davidson, Chronoflex, Poult, Sol, Favi, Probionov, etc..., pour ne citer que les plus connus, nous amèneraient à penser qu'une autre façon de manager les collaborateurs serait désormais possible dans les entreprises hypermodernes.

Cet engouement si soudain pour ces nouvelles formes de management semble assez étonnant pour ceux qui suivent à la trace depuis longtemps les modes managériales, toutes aussi prometteuses les unes que les autres qui se sont succédées ces 20 dernières années: Management par objectif de Peter Drücker, Management participatif d'Octave Gélinier, projet d'entreprise d'Hervé Serieyx, Service Management de Carlzon, etc...Il est intéressant de noter à ce propos qu'en 1993, Tom Peters, auteur avec Robert H Waterman du "Prix de l'excellence" publie un nouveau livre intitulé "L'entreprise libérée"...

L'étonnement porte sur deux points, au moins. Le premier c'est que cette approche se présente comme radicalement nouvelle par rapport à toutes celles qui ont précédées. Or quand on écoute la démonstration faite par Isaac Getz, lors d'une de ces conférences, ce qu'il met en scène ne relève ni plus ni moins des théories du management situationnel présentées par Hersey et Blanchard en 1969. La citation de Saint-Simon résume bien cet étrange amnésie : "Nos enfants se croiront révolutionnaires, ils n'auront que des réminiscences".

Le deuxième étonnement porte sur l'intense émerveillement que suscitent ces pratiques qui se présentent comme radicalement subversives par rapport aux pratiques existantes. Les exemples cités témoignent en effet d'une réelle rupture qui n'est pas sans rappeler les utopies d'entreprises explorées par Philippe Trouve : Fourrier, Owen ou Agnelli au début du siècle passé.

Cependant, à coté donc de cette impression de déjà vu, on peut s'interroger sur cette intense ferveur de la part de certains managers, qui semblent brusquement prendre conscience de la nécessité d'un changement dans la manière d'animer leurs équipes. C'est comme si le management était pris d'une nouvelle fièvre qui n'est pas sans rappeler les manifestations hystériques qui sont apparues au début du siècle dernier au moment de l'émergence de la psychanalyse. De nombreux sujets, hommes ou femmes, étaient atteints d'un mal étrange, qualifié d'hystérie. Celle - ci se manifestait par la production de symptômes somatiques souvent spectaculaires sans causes organiques précises (crampes, paralysies, etc..), s'accompagnant de manifestations émotionnelles parfois très théâtrales.

Cette ressemblance n'est peut - être pas fortuite. Dans les deux cas, les acteurs ont été confrontés à une longue période de répression, où il s'agissait de soumettre à des normes de fonctionnement implacables qui laissaient peu d'initiatives aux acteurs. L'hystérie a été une des premières formes de contestation de la figure d'autorité dominantes de l'époque. Ainsi, à la lumière de l'histoire, est-il possible d'entendre cette effervescence pour le mouvement de l'entreprise libérée comme l'expression d'une réaction à des modèles de domination hiérarchique qui sont restés trop longtemps prégnants.

L'apprentissage de la soumission dans les organisations hiérarchiques

Chris Argyris, Donald A. Schön en 1978 et Peter Senge en 1990 ont développé un concept original: l'organisation apprenante. Garvin dans la Harvard Business Revue de juin-juillet 1993 définit l'une organisation apprenante comme « une organisation capable de créer, acquérir et transférer de la connaissance et de modifier son comportement pour refléter de nouvelles connaissances ».

Cette conception de l'organisation fait également référence aux travaux de Piaget sur les apprentissages. Ceux - ci procèdent par accommodation et assimilation. Le processus d'accommodation repose sur la nécessité pour les salariés de s'adapter en permanence tandis que l'assimilation définit des normes qu'ils sont dans l'obligation de "digérer" dans leur conscience pour s'y intégrer de façon durable.

Si cette théorie très séduisante a été utilisée pour encourager les managers à favoriser les échanges de connaissances dans l'entreprise, elle présente aussi un réel intérêt pour comprendre les apprentissages que les salariés ont pu faire dans le modèle hiérarchique pyramidale. On peut même poser l'hypothèse que ceux - ci se sont opérés sur une durée si longue qu'ils ont imprégnés non seulement les organisations mais le psychisme des individus qui y ont séjournés.

Les principes de l'organisation taylorienne sont bien connus. Notre propos n'est pas ici de les décrire dans le détail. C'est surtout sur la figure d'autorité valorisée qu'il est intéressant de s'attarder. Cette analyse permettra de mieux comprendre une partie du malaise que ressentent encore aujourd'hui de nombreux salariés (Cf. Enquête Gallup, 2013) et la grande difficulté qu'ont nos organisations pour adopter un modèle plus adapté à leurs enjeux réels.

Le philosophe Michel Foucault propose une lecture intéressante de ces phénomènes. Dans son livre "Surveiller et punir" (1975) il étudie la façon dont les micro pouvoirs structurent les relations dans les prisons et les écoles pour montrer la grande similitude dans les modes de traitements infligés aux individus en marge (les fous, les condamnés, les étrangers, les soldats) et les individus ordinaires.

A travers ses travaux, il met en lumière que chaque sujet est modelé par "un ordre disciplinaire" qui l'enferme dans "un bocal faussement transparent" conditionnant ce qu'il croit être la vérité. Or, pour Foucault, ce qui fait vérité devient savoir et le savoir est indissociable du pouvoir car il sait "se faire obéir".

Le pouvoir dont parle Foucault est invisible mais s'exprime dans des formes multiples et discrètes: " Des millions de petits pouvoirs forment la trame de la société" résume le philosophe Paul Veynes, commentateur des œuvres de l'auteur (2008).

Le sujet est donc en partie le produit du pouvoir. Il est agi par lui à travers ses discours qui "commandent, répriment, persuadent, organisent" (2008:143). Le sujet est donc constitué par les discours dominants auxquels il est confronté.

Ce modelage s'opère à travers "des dispositifs" qui distribuent un savoir qui devient pouvoir dans la mesure où il est présenté comme la norme de référence à laquelle chacun doit se soumettre. Ces dispositifs agissent à travers "les institutions disciplinaires" que traversent les individus au cours de leur existence.

La recherche de Natacha Borgeaud - Garcianda est particulièrement intéressante pour comprendre le processus de domination qu'à imposé et que continue d'imposer le modèle hiérarchique pyramidale aux individus. Pour comprendre la nature de l'aliénation dans laquelle les salariés sont placés, elle a interrogé plusieurs dizaines ouvrières travaillant dans des usines de sous - traitance industrielle à Managua au Nicaguarana. Cette exploration n'a rien d'exotique car elle reflète parfaitement ce que des ouvriers français ont pu ressentir dans ce type d'organisations qui se ont particulièrement développées de 1920 à 1990, voire encore aujourd'hui dans les organisations dites néo-tayloriennes qu'on retrouve dans certains centres d'appels ou la restauration rapide.

Ce qui caractérise cette configuration sur le plan des ressources humains, c'est la "réification" (Lukács, 1960). Les salariés soumis au respect d'un travail totalement prescrit par des standards ne sont pas autorisés à penser et encore moins à s'exprimer. Ils sont condamnés à se soumettre silencieusement aux contraintes imposées par le travail prescrit. Il s'agit bien d'une forme de domination qui annule ce que ressent l'acteur; c'est à dire sa subjectivité.

Pour supporter ce qu'il faut bien appeler cette "servitude", les sujets sont préparés depuis leur enfance par les organisations disciplinaires que sont la famille et l'école. Dans le cadre familial déjà, les enfants ne sont pas autorisés à s'exprimer avant les adultes tandis qu'à l'école, ils sont habillés en blouse grise et lever le doigt avant de s'exprimer. Cette forme de respect repose sur la menace de la sanction. C'est par la peur que cette figure d'autorité s'installe dans les esprits.

Cette forme d'autorité s'est peu à peu transformée dans la société après Mai 1968. Mais, dans l'entreprise, elle semble s'être sédimentée du fait du succès économique prolongé dans le temps du modèle taylorien. Un écart asynchrone s'est creusé entre la conception de l'autorité qui s'est considérablement assouplie dans la société et celle qui s'est maintenue dans les entreprises.

Dépossédé de sa capacité à penser le monde et à en délibérer, le sujet taylorien va intérioriser la domination. L’ajustement totalitaire à la norme entraîne sa disparition en tant que sujet. Concrètement, cela se traduit par étrange mutisme. Un bon collaborateur doit savoir ce taire. On retrouvera, pendant longtemps, dans les entreprises, les traces de cet apprentissage dans les difficultés qu'auront les salariés à prendre la parole dans les réunions des groupes d'expression des salariés organisées dans les années 80 sous l'impulsion des lois Auroux. (1981)

Selon Vincent De Gaulejac, cette domination n'a pas cessé dans les entreprises post modernes. Le pouvoir a simplement changé de visage. Le petit chef autoritaire a été remplacé par un pouvoir invisible: le pouvoir managérial. Celui - ci s'exerce de manière abstraite à travers l'utilisation "acharnée" de ratios de gestion et de procédures (Diet, 2010). Dans cet univers, l'individu est confronté aussi à la chosification en devenant une ressource, qui plus est, est considérée comme un coût. Les tableaux de bord sont sacralisés car ils sont censés traduire le réel du travail.

Les outils utilisés se prétendent exempts de toute idéologie. En fait, ils sont au service des exigences toujours de plus en plus accrues du Capital, générant sur les individus une pression de plus en plus forte accompagnée de la menace de perdre son emploi si les objectifs ne sont pas atteints.

L'accumulation de la colère et du ressentiment dans les organisations aliénées

Mais s'ils consentent à la domination, les salariés ne peuvent consentir à la servitude totale. Les émotions refoulées ne vont pas totalement s'enterrer. Elles vont continuer à travailler de façon clandestine dans les profondeurs de la communauté de travail (Moulet, 1998) et fabriquer l'organisation clandestine qu' Henri Savall (2010), président fondateur de l'ISEOR a peut - être rapidement réduit à un ensemble de coûts cachés.

Selon la psychologie gestaltiste (Perls, 1951), les émotions suivent un cycle. Commençons pour simplifier à nous interroger sur le cycle émotionnel de la recherche de satisfaction chez l'enfant. Au départ, il est dans un état d'équilibre appelé " vide fertile". Puis un besoin surgit : par exemple la faim. La recherche de la satisfaction du besoin le conduira à exprimer une émotion pour obtenir satisfaction. Si la satisfaction tarde, c'est la colère ou la tristesse qui pourraient s'exprimer. Lorsque, au contraire, le besoin est satisfait, l'enfant retrouvera son état initial de vide fertile.

Pour l'adulte c'est un peu compliqué parce qu'il n'est plus autorisé par la socio-culture à exprimer ses émotions comme l' enfant. Les réponses à ses demandes sont parfois longuement différées ou inexistantes. Mais l'adulte a d'autres ressources, il peut sublimer; c'est à dire exprimer son émotion sur un autre mode que celui de l'expression primitive. C'est ainsi, qu'il pourra par exemple exprimer son mécontentement en adhérant à un syndicat ou en se mettant en maladie... etc...Outre la sublimation, il pourra aussi refouler son émotion et ruminer dans sa conscience les problèmes à l'origine de ce processus.... et la partager avec ses collègues sous la forme de discussions clandestines collectives.

Dans cette dernière hypothèse, il sera alors, selon les neurophysiologistes, en inhibition d'action (Laborit, 1997) car il n'aura pas pu agir sur la situation. Ses émotions ne pouvant se convertir en action, il "somatisera ses affects". Le cas Maryflo, de ce point de vue, illustre bien le processus. Dans ce cas, la violence subie par les salariées n'est évidement pas physique. Elle est symbolique dans la mesure où elles sont constamment confrontées à des signes négatifs de reconnaissance et sommées de réaliser des cadences de travail qu'elles estiment impossibles. Elles supporteront cette relation avec leur directeur de production, d'abord sans pouvoir réagir, jusqu'à ce qu'une grève alors éclate qui s’achèvera qui se conclura par le licenciement du directeur. Ce n'est qu'à partir du moment où elles ont pu agir qu'elles ont retrouvé leur dignité.

Parmi les nombreuses définitions de la dignité, nous retiendrons la définition kantienne qui la conçoit comme le fait de considérer tout être humain comme un "être rationnel", c'est à dire doté d'une capacité d'analyse et de jugement.

Or quand un salarié se trouve confronté à la logique hiérarchique ou gestionnaire omnipotente, son avis importe peu. Seules les prescriptions normatives sont considérées comme réelles. Dans ce schéma, le sujet se trouve réduit à n'être qu'un simple moyen au service d'une fin qui le dépasse. Ce qui a de la valeur dans cette situation ce n'est pas le sujet mais le profit comptable qu'il peut générer, ou pas, à la fin de l'exercice. Son humanité, au sens kantien est totalement niée. En réduisant le travail, c'est à dire l'action humaine à l'enrichissement d'acteurs invisibles (les actionnaires), le travail perdant son sens, il devient insignifiant. La peine liée à l'effort se transforme, alors, en souffrance.

Mais ce terme est bien trop général pour qualifier la nature réelle du mal. Il constitue un vaste "fourre tout" qui permet de banaliser les émotions mises en jeu. Une autre solution tout aussi inopérante consiste à le considérer comme relevant de la pathologie médicale : anxiété, insomnie, dépression, burn out, Tous ces subterfuges sont cependant confortables. Ils permettent d'éviter d'affronter la dimension émotionnelle et politique du "malêtre" (Kaës).

Les audacieux travaux de la sociologie clinique nous invitent à reconnaître que cette souffrance est un signe signifiant de la colère accumulée inconsciemment dans la subjectivité des acteurs confrontés en permanence au déni hiérarchique et gestionnaire (De Gaulejac 2011:71). Celle - ci est tapie au fond des communautés de travail assujetties depuis trop longtemps par la violence de ces formes obsolètes du management et les exigences ultralibérales.

Mais si celle - ci resurgit avec évidence quand les salariés sont confrontés collectivement à des ruptures organisationnelles brutales, elle se manifeste aussi de façon plus diffuse dans les rapports quotidiens à travers des micro - rapports de force, des agacements mutuels quand ce ne sont pas des conflits interpersonnels ou des jeux d'acteurs plus ou moins sadomasochistes. En d'autres mots à travers ce qu'on appelle "le climat social" de l'entreprise.

L’enquête Gallup de 2013, portant sur les motivations des français au travail (p93) témoigne ainsi de "l'antipathie" généralisée qui règne aujourd'hui dans les entreprises françaises et européennes. Selon cette étude, on constate en effet que 65% des salarié(e)s français ne seraient pas engagé(e)s, 26% activement désengagé(e)s et seulement 9% activement engagé(e)s. On retrouve, peu ou prou, les mêmes tendances dans toutes les entreprises européennes. Les résultats paradoxalement sont beaucoup plus positifs dans les pays latino américains.

Il existe encore des formes plus subtiles d'expression comme l'absentéisme, le présentéisme passif, les silences "à couper au couteau" en réunion, etc...

Dans les organisations hiérarchiques, la colère n'est jamais tolérée. Elle est perçue comme "un manque de retenue, une absence de maîtrise de soi, l'indice d'un défaut..."(De Gaulejac, 2011:70). Elle est le signe d'un refus, d'une indignation face à l'absurdité de certains raisonnements ou décisions, prises par la hiérarchie. En tant que telle, elle est "inter-dite". C'est sans doute pour cela qu'elle est si massivement refoulée dans les organisations hiérarchiques.

Cependant ce refoulement, lorsqu'il est trop longtemps prolongé n'est pas sans conséquences. Il provoque une accumulation émotionnelle dans "l'appareil psychique groupal" (Kaês, 1996). qui d'une certaine façon va s'intoxiquer (Kernberg, 1996). Cette "stase émotionnelle (Reich, 1933) envahit peu à peu la rationalité des acteurs générant alors de nombreux dysfonctionnements.

Le concept de "stase émotionnelle" introduit par Reich dès 1933 dans son ouvrage: "L'analyse caractérielle" est assez intéressante pour comprendre, par analogie, le processus d'intoxication dont nous parlons. Celui - ci est le résultat d'un blocage permanent de l'expression des émotions. Celles -ci ne pouvant s'actualiser face aux inter-dits (institutionnels), restent à l'état somatique dans le corps des acteurs contribuant ainsi la création d'un système de tensions chroniques, appelée la cuirasse musculaire. La ressemblance avec les processus "sidérants" mis en œuvre dans les organisations hiérarchiques et gestionnaires est possible. Celle - ci établit des normes relationnelles et procédurales qui contribuent à "geler" les initiatives spontanées. Dans cette dynamique, les émotions ne sont pas tolérées et sommées de revenir à leur état initial, c'est à dire somatiques. Le gestionnaire autoritaire ou le hiérarchique gestionnaire croit ainsi les avoir fait disparaître.

Mais l'énergie émotionnelle suit les lois de la physique. (Lupasco, 1962). Elle respecte le 1° principe de la thermodynamique: Elle se conserve lorsqu'elle se transforme. Ainsi, il est en de même pour les émotions collectives qui suivent le même itinéraire que les émotions individuelles. Lorsqu'elles sont refoulées, elles se "somatisent" dans le corps social conduisant à une "congélation" provisoire des énergies mais elles ne disparaissent pas. Leurs actions est simplement empêchées ", ce qui se traduit par une réduction importante des prises d'initiatives ou des propositions. En d'autres termes ici, pour rester dans la métaphore de la physique, c'est le principe de néguentropie (ordre) qui l'emporte qui poussé à l'extrême conduit à la sclérose.

Hypertophie de la mémoire collective et catharsis

Le MOM 21 regroupe un réseau de consultants qui ont décidé de se consacrer à la libération des entreprises. Ils ont défini assez clairement les principes fondateurs du modèle de l'entreprise libérée

1°) Réduire les niveaux hiérarchiques (Maximum 2 niveaux : DG et leaders)
2° Favoriser l'autonomie et la responsabilité des collaborateurs
3°) Faire confiance à leurs capacités d'inventivité
4°) Les laisser libres de concevoir comme ils l'entendent l'organisation du travail
5°) Alléger les procédures
6°) Encourager la circulation des idées et l'innovation à tous les niveaux
7°) Supprimer les objectifs individuels et les primes
8°) Placer le salarié en contact direct avec le client

Ces principes supposent l'engagement total des collaborateurs. Quand on voit les résultats de toutes les enquêtes sociologiques sur le travail, il est facile de concevoir que cela ne se décrète pas. Cette conversion des salariés n'est possible que si ceux - ci peuvent opérer une véritable "metanoïa" car la souffrance s'est accumulée dans la mémoire du collectif entretenant une endurante suspicion. Ce retournement n'est possible que si l'ensemble des acteurs parvient à reconstruire le pacte social sur des bases plus équitables.

On avait vu avec Piaget que l'esprit humain fonctionnait par accommodation (il s'adapte) et par assimilation (Il digère). Bion (1961) compare, d'ailleurs, le psychisme humain à un appareil digestif. Ses travaux sont particulièrement utiles pour comprendre ce qui se passe quand les émotions collectives ne sont pas digérées. Elles produisent des souvenirs répétitifs qui empêchent d'explorer toutes nouvelles alternatives (Hinshelwood, 1987)

Dans cette situation, "le groupe semble avoir l'effet d'un fardeau émotionnel, un poids lourd et inamovible, qui l'empêche d'avoir accès à de nouvelles pensées ou des "émotions inédites". Le groupe semble accablé par l'énorme difficulté de garder le sens de la réalité, et cependant préoccupé d'amadouer une sorte de persécuteur au sein même du groupe qui semble le tyranniser en l'obligeant de s'occuper de manière infructueuse de lui - même plutôt que des tâches liées à la réalité extérieure". (Antonello Correale, 1996)

En refoulant pendant un certain temps leurs émotions, les collaborateurs font "comme si" pour se conformer aux normes imposées par l'organisation qui fonctionnent comme un surmoi. Il développe ce que Ronald Laing appelle un "faux self". Selon Bion (1963), le refoulement s'opère non pas par effacement définitif des émotions "douloureuses" mais par "clivage". Les émotions sont toujours présentes mais ne sont pas consciemment articulées à des représentations, des idées, des images.

Ces émotions refoulées sont assimilées par Gaburri (1993) a des "restes non élaborés", qui n'ont pas été digérées de manière adéquate. Le collectif se trouve alors encombré et cherche diverses solutions pour évacuer cette accumulation: discussions de couloir, jeux d'acteurs, difficultés de compréhension des messages, etc...

La libération doit commencer par une catharsis émotionnelle collective

4.40 Comment mettre en place une démarche de management libéré ?
La libération des entreprises est souvent initiée par les dirigeants eux - mêmes. Leur prise de conscience s'est faite généralement par des lectures ou des rencontres. S'ils en sont les initiateurs, et c'est déjà un grand mérite, nous ne pensons pas que celle -ci puisse dépendre de la volonté d'un seul homme. La libération doit être avant tout une expérience collective.

Si les salariés qui se sont suicidés en France (Orange, de Renault, Disneyland, Sodexho, BNP, etc...) avaient pu exprimer leur colère collectivement peut - être n'aurait ils pas retourner leur agressivité contre eux - mêmes ?

On peut légitimement poser l'hypothèse que bon nombre des symptômes de souffrance au travail sont la manifestation de colères rentrées". Quand on voit l'augmentation impressionnante des prescriptions d'antidépresseurs, anxiolytiques et antinflammatoires de ces dix dernières années, on peut penser que celles -ci se retrouvent certainement dans les plaintes murmurées dans l'espace confidentiel des cabinets médicaux.

Quand les individus ne peuvent exprimer cette colère, celle - ci se transforme en culpabilité, ressentiment et ruminations. L'individu ravale son agressivité, tiraillé "dans un conflit interne entre révolte et soumission" (De Gaulejac, 2011).

Il est temps de libérer la colère dans les organisations car la colère est l'énergie du changement. Cette transformation d'une émotion humaine en actions concrètes n'est pas sans analogie avec le second principe de la thermodynamique qui indique "qu'un système isolé évolue spontanément vers un état d'équilibre qui correspond à l'entropie (désordre) maximale" (Wikipédia).

Ce 2° principe est fort intéressant pour comprendre la dynamique de l'énergétique émotionnelle dans une organisation. Elle permet de poser l'hypothèse qu'une organisation a constamment besoin pour assurer son développement d'équilibrer en permanence les forces d'ordre et de désordre. Ainsi, peut-on considérer que libérer une organisation consiste à réintroduire du désordre dans celle - ci en favorisant l'expression de tous les acteurs. C'est à cette condition, qu'une transformation est possible. Il y a cependant quelques précautions à prendre pour éviter l'entropie maximale ....qui conduirait à sa disparition.

Comment s'y prendre ?

Pour mener à bien cette opération, il semble qu'il y ait quelques fondamentaux à respecter:

- 1°) La nécessité de constituer un comité de pilotage réunissant les différentes parties prenantes du projet. Ce comité aura pour fonction de valider la méthodologie de travail et les résultats. Il a une fonction de protection et de sécurisation de la démarche.
- 2°) L'étape suivante passera par une enquête "qualitative" auprès d'un maximum de salariés réalisée individuellement ou en petits groupes avec des phases de restitution collective pour se initier des groupes de travail qui pourront faire des propositions à la direction.
3°) Une enquête plus quantitative pourra compléter cette première analyse
4°) Définir avec les managers les zones de libération progressive et la manière de distribuer autrement le pouvoir (De ce point de vue les théories de Carlzon peuvent s'avérer particulièrement intéressantes)

En réalité, ce qui importe, plus que les outils eux - mêmes, c'est évidemment de créer des espaces d'échange et délibération pour faire circuler la parole et recréer de la fluidité émotionnelle dans le collectif. Les émotions "coincées" une fois exprimées et converties en actions de changement permettront au collectif de se reconstruire sur d'autres bases, y compris celles qui sont suggérées par la direction.

"Pour que la colère soit acceptée, la colère doit être le véhicule d'une indignation collective face à une situation jugée intolérable. ....La colère n'est pas toujours mauvaise conseillère. Elle exprime une indignation qui peut parfaitement être légitime. Elle est profondément humaine parce qu'elle est le signe d'une refus; le refus de la maltraitance, de la violence, de l'injustice et des inégalités dont le monde du travail est porteur" (De Gaulejac, 2011).

Ce préalable est rarement pris en compte par les dirigeants libérateurs qui généralement présentent leur modèle de façon définitive, exigeant finalement des salariés qu'ils s'y soumettent ou qu'ils se démettent. N'est ce pas un paradoxe quand on se prétend libérateur ?

"Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose... Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer." Saint Saint-Exupéry

Bibliographie et sitographie

Chris Argyris et Donald A. Schön ,L'apprentissage organisationnel, théorie, méthode et pratique [« Organizational Learning: A Theory of Action Perspective »],‎ 1978 — Éditeur original : Addison-Wesley, Reading, MA
Peter Senge, La Cinquième discipline, l'art et la manière des organisations qui apprennent [« The 5th discipline, the art and practice of Learning Organization »], First Editions,‎ 1990 — Éditeur original : Dell publishing group


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