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Le Temps des Valeurs

4.109 Reinventer le Management avec le Design Thinking ?


1. Le système de management français a bout de souffle ...

4.109 Reinventer le Management avec le Design Thinking ?

Depuis plusieurs années, les enquêtes sur le climat social en entreprise dressent un constat de plus en plus préoccupant : dépression, burn-out, perte de sens, et sentiment d’inutilité. Une étude menée en 2024 par l’IFOP indique que près de 42 % des salariés français se déclarent en situation de mal-être professionnel. D’après le baromètre Gallup 2023, seuls 7 % des salariés en France se disent véritablement engagés dans leur travail, contre 33 % aux États-Unis. Ce chiffre place la France parmi les pays les moins engagés d’Europe.

Ce malaise profond n’est pas le fruit du hasard. Il trouve ses racines dans un modèle managérial hérité du passé, souvent rigide, basé sur le contrôle, la méfiance, l’hyper-normalisation des processus et une gestion court-termiste. Ce management, issu du taylorisme industriel, ne parvient plus à répondre aux besoins d’un monde complexe, mouvant, et surtout habité par des individus en quête d’autonomie, de reconnaissance et de contribution réelle. L’étude de Malakoff Humanis de 2023 révèle d’ailleurs que 76 % des salariés jugent leur travail de plus en plus intense, tandis que 63 % déclarent avoir peu de marges de manœuvre dans leur quotidien professionnel.

Il ne s’agit donc plus simplement d’optimiser l’existant ou de réformer à la marge. L’enjeu est beaucoup plus fondamental : il faut désormais réinventer notre manière de penser l’organisation, de concevoir les relations humaines au travail, et de structurer l’action collective. Cela suppose un déplacement du regard, une rupture avec certains réflexes managériaux ancrés, et l’ouverture à de nouveaux paradigmes de transformation.

2. Le design thinking : une réponse venue du monde de la conception


Dans cette quête de renouveau, le design thinking apparaît comme une approche singulière et puissante. Né dans les années 1960-1970 aux États-Unis, à la croisée de la psychologie cognitive, de l’ingénierie, et du design industriel, il s’est progressivement structuré en une méthode d’innovation centrée sur l’humain. Loin de se limiter à l’esthétique des objets, le design thinking s’est imposé comme une véritable philosophie de résolution de problèmes complexes.

Son essor s’explique par son application dans les écoles de design les plus influentes, telles que la d.school de Stanford, ou encore à travers des agences pionnières comme IDEO. Le design thinking repose sur une intuition forte : pour résoudre des problèmes contemporains, il faut partir de l’observation fine des usages, comprendre les besoins réels des personnes, prototyper rapidement des idées, tester des solutions de manière itérative, et accepter l’incertitude comme moteur d’innovation.

Aujourd’hui, plus de 70 % des grandes entreprises du classement Fortune 500 affirment intégrer des approches de design thinking dans leurs projets d’innovation. Des groupes comme IBM, SAP, ou encore BNP Paribas ont formé des milliers de collaborateurs à cette démarche. IBM, par exemple, revendique un retour sur investissement de 301 % sur ses projets pilotés par le design thinking (source : Forrester, 2018).

Au-delà de sa méthodologie en cinq étapes (empathie, définition, idéation, prototypage, test), le design thinking est avant tout une posture. Il valorise la collaboration interdisciplinaire, l’exploration ouverte, et la créativité sous contrainte. Il crée un espace où les acteurs peuvent dialoguer autrement, sortir du cadre, s’autoriser à expérimenter.

3. Réinventer l'organisation avec le design thinking : l’approche d’Aurélie Marchal


Dans son ouvrage "Innovation organisationnelle et transformation managériale par le design thinking", Aurélie Marchal explore cette idée audacieuse : utiliser le design thinking non pas simplement pour améliorer des produits ou des services, mais pour réinventer le fonctionnement même des entreprises. Elle s’appuie sur un constat partagé : ce ne sont pas tant les idées qui manquent dans les organisations, mais bien la capacité à créer les conditions de leur émergence, de leur expérimentation et de leur mise en œuvre.

L'auteur défend l’idée que le design thinking, en plaçant l’humain au cœur de la réflexion, offre une alternative concrète aux formes managériales obsolètes. Cette approche permet de renouveler les dynamiques internes en favorisant l’expression des besoins réels, en rendant visible le travail invisible, et en rétablissant des ponts entre les strates hiérarchiques. En somme, il ne s’agit pas seulement d’innover, mais de transformer les logiques d’organisation.

Elle souligne également que cette transformation ne peut se faire sans une forte implication de toutes les parties prenantes. Il ne suffit pas de décréter le changement, il faut le co-construire, le prototyper, l’institutionnaliser. Cette logique de co-création invite à un changement de posture du manager : de superviseur, il devient facilitateur ; d’expert, il devient apprenant parmi les autres.

4. Cas concrets et apports du design en contexte organisationnel


Pour illustrer son propos, l’ouvrage d'Aurélie Marchal revient sur plusieurs exemples d’organisations ayant intégré la logique du design dans leur transformation. L’agence IDEO, par exemple, a repensé sa propre gouvernance pour la rendre plus fluide, collaborative et centrée sur les projets. La 27e Région, initiative publique française, utilise le design pour réinventer les services publics avec les agents eux-mêmes, dans une logique de terrain et de prototypage.

Dans le secteur de la santé, des établissements comme des maisons de retraite ou des hôpitaux ont mobilisé le design pour améliorer la qualité de vie des usagers, en impliquant les soignants, les patients et les familles. À titre d’exemple, le projet “Living Lab” du CHU de Grenoble, en partenariat avec l’Agence nationale du design des politiques publiques, a permis de réduire de 25 % le taux d’absentéisme dans certains services pilotes.

Dans tous ces cas, on observe un effet d’entraînement : les collectifs se sentent écoutés, responsabilisés, engagés. La confiance remplace la défiance, la créativité remplace l’absorption, la collaboration remplace la compétition interne. Ces expérimentations montrent que le design n’est pas réservé à une élite créative ou technophile. Il peut être un outil de transformation sociale et managériale, accessible à tous, dès lors que l’on accepte de changer de regard, de posture, et de rythme.

5. De la méthode à la culture : vers un design managérial


Ce qui se joue à travers l’introduction du design thinking en entreprise dépasse la simple application d’une méthode. C’est un véritable changement de culture managériale qui s’opère. Ce changement invite à sortir du modèle prescriptif et normatif, pour entrer dans un modèle exploratoire, réflexif et participatif.

Dans cette culture, l’écoute devient active, le dialogue devient structurant, l’erreur devient source d’apprentissage. Le manager cesse d’être un contrôleur pour devenir un médiateur de sens. Le collaborateur n’est plus un exécutant, mais un contributeur. L’organisation n’est plus un édifice figé, mais un système vivant, en constante adaptation.

Selon le Boston Consulting Group, les entreprises qui intègrent des pratiques d’innovation collaborative, comme le design thinking, sont 1,5 fois plus susceptibles d’augmenter leur part de marché. Une étude du MIT Sloan School of Management a également montré que les organisations utilisant le design comme levier de transformation managériale augmentent significativement la satisfaction et la fidélisation des salariés (jusqu’à +30 % dans certaines branches industrielles).
 

​6. Enjeux et conditions de réussite


Aurélie Marchal ne minimise pas les difficultés de mise en œuvre du design thinking dans le monde de l’entreprise. Elle identifie plusieurs risques : l’effet de mode, le pilotage à vue, la participation alibi, le manque de formation. Beaucoup d’entreprises, séduites par le discours, peinent à en saisir la profondeur.

Pour que le design thinking devienne un levier réel de transformation, plusieurs conditions sont nécessaires. Il faut d’abord une implication sincère des dirigeants, qui doivent accepter de questionner leur posture et de partager le pouvoir. Il faut ensuite une rigueur méthodologique, sans laquelle le design se réduit à une animation ludique. Il faut enfin une pédagogie du changement, qui permette à chacun de comprendre les enjeux, de s’approprier les outils, et de se sentir légitime pour agir.

Le design thinking est donc une voie exigeante. Mais elle ouvre des possibles puissants, en particulier pour les entreprises qui souhaitent réconcilier performance, innovation et bien-être au travail.

​ Conclusion : pour une entreprise (ré)designée


Réinventer le management avec le design thinking, ce n’est pas introduire une nouvelle tendance à la mode. C’est faire le pari d’un changement profond dans la manière de concevoir l’organisation et les relations humaines au travail. C’est choisir une posture d’humilité, de curiosité, de responsabilité partagée.

Le design thinking permet de penser l’entreprise comme un espace d’expérimentation continue, où chaque collaborateur peut contribuer à la création de valeur, où chaque manager devient garant d’un cadre propice à l’émergence, et où la stratégie devient un récit collectif ancré dans le réel.

Ce pari est ambitieux, mais il est nécessaire. Car l’entreprise de demain ne sera pas seulement plus numérique, plus écologique ou plus agile. Elle devra surtout être plus humaine. Et pour cela, elle devra être, en profondeur, redesignée.

Nous recommandons pour approfondir l'ouvrage d'Aurelie Marchal accessible sur son site  

Bibliographie

Alter, N. (2000). L’innovation ordinaire. Presses Universitaires de France.

Brown, T. (2009). Change by design: How design thinking creates new alternatives for business and society. Harvard Business Press.

Hamel, G. (2007). The future of management. Harvard Business School Press.

Le Moigne, J.-L. (1990). La modélisation des systèmes complexes. Dunod.

Liedtka, J., & Ogilvie, T. (2011). Designing for growth: A design thinking toolkit for managers. Columbia University Press.

Marchal, A. (2011). Innovation organisationnelle et transformation managériale par le design thinking. am design thinking. (A télécharger sur son site )

Martin, R. (2009). The design of business: Why design thinking is the next competitive advantage. Harvard Business Press.

Murray, R., Caulier-Grice, J., & Mulgan, G. (2010). The open book of social innovation. Nesta & The Young Foundation.

Verganti, R. (2009). Design-driven innovation: Changing the rules of competition by radically innovating what things mean. Harvard Business Press

Interwiev du sociologue François Dupuy par Aurélie Marchal


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