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Les 4 Temps du Management

Le Temps des Equipes et des Projets

2.50 Recadrer sans humilier ! Ce que nous apprend l'erreur du Général Patton

George Patton était l’un des généraux les plus connus de la Seconde Guerre mondiale. Célèbre pour son franc-parler et ses répliques légendaires, il obtint des résultats impressionnants dans toutes les campagnes auxquelles il participa. Pourtant, il faillit tout perdre en quelques secondes. Quelques secondes sur une carrière exceptionnelle de 40 ans! Quelle fut cette erreur ?


Des résultats à tout prix !

Patton était un leader intransigeant : seul comptait l’esprit d’offensive. Les hommes devaient aller de l’avant, coûte que coûte. D’où lui vient cet état d’esprit ? Rappelons tout d’abord que Patton était un cavalier. La cavalerie (remplacée plus tard par l’arme blindée) constitue souvent la pointe d’une armée. C’est elle qui recueille les renseignements, harcèle l’ennemi, lui porte le coup de grâce au cœur de la bataille. Patton était l’incarnation même de cette doctrine :  En 1916, il mena des raids intrépides au Mexique contre les troupes de Pancho Villa. En 1917, en France, il s’intéresse immédiatement aux chars d’assaut, et créé la première école de formation pour les troupes américaines l’année suivante. En 1918, à la tête d’une brigade de chars, il mène l’attaque en direction de Saint-Mihiel. Il manque de se faire tuer en grimpant sur son char pour encourager ses hommes à avancer. Il se porte à la pointe des combats lors de l’offensive en Meuse en septembre 1918, avant d’être blessé. Patton exige beaucoup de ses hommes, mais jamais rien qu’il ne puisse faire lui-même. Il mène par l’exemple. Après la guerre, toute son attention fut tournée vers la création d’un corps blindé américain, et de la doctrine offensive qui devait l’animer.
 
Ce sont ces outils qui permirent à Patton de remporter des succès fulgurants en Afrique du Nord. Il remplace plusieurs généraux incapable d’appliquer sa doctrine, et pousse ses hommes à être toujours plus offensifs. Pour ça il fut surnommé “Blood and guts” (du sans et des tripes), les soldats rappelant parfois qu’il s’agissait surtout de leur sang et de ses tripes! Néanmoins, Patton était respecté par tous, car finalement sa doctrine offensive permettait de sauver des vies en évitant des affrontements longs et meurtriers.
 
Dans son discours prononcé en Angleterre peu avant le débarquement de Normandie il souligna avec tact et finesse sa doctrine de combat : « Je ne veux pas recevoir de message disant, ‘Je tiens ma position.’ Nous tenons pas le moindre foutu truc. Laissons les Allemands le faire. Nous avançons constamment et nous ne sommes pas intéressés à tenir quoi que ce soit, à part les couilles de l’ennemi. Nous allons lui tordre les couilles et lui botter les fesses en permanence. Notre plan d’opérations de base consiste à avancer et à continuer d’avancer, sans se soucier de devoir passer sur, sous ou à travers l’ennemi. Nous allons le traverser comme la fiente dans une oie; comme de la merde dans un klaxon! » Vous pouvez retrouver l’intégralité du discours sur ce site.


Jusqu'au dérapage ...

Durant la campagne de Sicile, il se rendit à Nicosie (Chypre) pour rendre visite à des soldats blessés. Là, il s’entretint comme souvent avec ses hommes pour les remercier de leur courage et de leur dévouement. Jusqu’à ce qu’il rencontre le soldat Kuhl : celui-ci était assis dans l’infirmerie sans blessure apparente. Patton lui demanda de quoi il souffrait. Il lui expliqua qu’il ne pouvait plus supporter les bombardements. Pour le général c’en était trop : il considérait que l’on pouvait avoir peur, mais rien ne pouvait justifier que l’on n’accomplisse pas son devoir. Après tout, lui-même avait risqué sa vie plusieurs fois. Il l’injuria et le gifla devant tous les soldats présents. Les médecins le firent sortir de l’infirmerie avant que Patton ne l’abatte lui-même avec son célèbre pistolet à crosse d’ivoire. La scène est reconstituée dans le film « Patton » aux sept oscars. Un autre soldat, Paul Bennett, fut également victime de la vindict du général.
 
Patton ne fut pas limogé. Il avait de longues et excellentes relations avec Eisenhower, qui dirigeait les troupes américaines en Europe. On étouffa l’affaire, Patton présenta ses excuses aux soldats concernés, ainsi qu’au reste de l’armée. Mais quelques mois plus tard, un journaliste révéla l’incident au grand publique. Il semblerait que l’opinion américaine ait été plutôt en faveur du général Patton. Mais les politiques n’étaient pas de cet avis : de nombreux membres du Congrès et des personnalités de premier plan le critiquèrent vivement (y compris son ancien chef au Mexique et en France, le général Pershing). On écarta Patton durant plus d’un an, avant qu’il reprenne un commandement actif en France en 1944. Il se retrouve à cette occasion sous les ordres de son ancien second en Afrique et en Sicile, le général Bradley.
 
Cet incident, qui n’a duré que quelques instants, entâche encore aujourd’hui la réputation du général Patton, et ce malgré des résultats incroyables en Afrique, en France, et par la suite dans les Ardennes et en Allemagne.

Le respect de l'Autre : un fondement de la relation managériale

Patton avait été extrêmement dur avant l’incident à Chypre: remplacements, insultes, critiques virulentes,... Pourquoi cet épisode a-t-il déclenché un scandale?
 
Dans toutes ses actions précédentes, Patton a toujours eu pour lui la légitimité. Le chef est légitime, lorsqu’il est capable de faire lui-même ce qu’il demande à ses hommes. Bien souvent il l’a lui même déjà fait. Voilà pourquoi tous les élèves-officiers en France passent par un stage en corps de troupe. Cela leur permet de vivre le quotidien de leurs subordonnés. De même, le stage ouvrier pour les ingénieurs permet à ces derniers de comprendre les problématiques des personnes chargées de mettre en oeuvre leurs plans. La légitimité s’appuie aussi sur la capacité du chef à remplir sa mission. Dans le cas de Patton, aucun problème : il a mené des actions audacieuses et efficaces à plusieurs reprises, évitant la perte de nombreuses vies humaines dans des combats de longue haleine (notamment lors de la percée d’Avranches et du désenclavement de Bastogne). Les hommes sont toujours fiers d’appartenir à une entité qui obtient d’excellents résultats. C’était le cas des hommes de la 3e Armée US, c’est aussi le cas d’un employé de Google ou de Facebook aujourd’hui.
 
L’action du chef dans une armée comme dans une entreprise repose aussi sur un cadre légale. Après tout, on a exécuté des soldats pour des raisons beaucoup moins graves durant la Seconde Guerre mondiale. De part son statut de général, Patton pouvait les renvoyer au front ou devant une cour martiale. Le cadre légal est beaucoup moins fort que la légitimité morale, en ceci qu’elle fonctionne grâce à un système de récompenses / punitions, et non en faisant appel à des hautes valeurs morales.
 
Le chef doit aussi faire preuve de bon sens. A quoi cela pouvait-il bien servir de frapper ces soldats? Sont-ils retournés au front plus vite? Les hommes de son armée se sont-ils mieux battus? Non, bien au contraire. Visiblement, ces hommes étaient à bout, même si à l’époque on identifiait beaucoup moins bien le stress post-traumatique. Les médecins et les soldats présents ce jour là l’avaient bien vu. Désireux de faire dans le sensationnel, Patton s’était laissé emporter par sa colère.
 
Ce jour-là, ni la légitimité, ni le cadre légal ne purent venir en aide à Patton. Il a commis une faute importante : humilier un subordonné. N’humiliez jamais un subordonné, en particulier devant ses collègues, quelle que soit sa faute. En tant que manager, en tant que leader, votre responsabilité est de rester maître de vous-même. Des mois, voire des années de respect gagné grâce à un management intelligent peuvent être ruinés en quelques secondes.
 
L’humiliation aujourd’hui peut ne pas être aussi flagrante que dans cet exemple historique. Il peut s’agir de petites phrases au quotidien, ou bien d’une attitude qui fait que votre subordonné peut se sentir humilié. Si vous ajoutez à cela la viralité incroyable des réseaux sociaux et de la presse, une humiliation (qu’elle soit volontaire ou bien le résultat d’une gaffe) peut rapidement mettre fin à votre carrière, sans parler d’éventuelles poursuites.
 
Il existe de nombreuses façons de réprimander un subordonné ou de le pousser à se dépasser. Patton a montré magnifiquement à plusieurs reprises que l’on peut être dur dans son style de commandement, tout en étant respectueux de ses hommes et de leurs efforts. 

Hommage aux troupes courageuses du Général Patton


Présentation de l'auteur : Vivien Destro, Consultant

Après des classes préparatoires au Lycée Militaire d'Autun et un master en Relations Internationales, Sécurité et Défense, Vivien Destro décide de s'établir en Russie. Il apprend le russe à l'Institut Pouchkine, et travaille ensuite pendant un an et demi avant de créer son entreprise de consulting, Semiorka. Désormais, il accompagne les entreprises françaises sur le marché russe. Il est également l'animateur du blog Strategoscope.com.

Vivien Destro, Consultant
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