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Les 4 Temps du Management

Chroniques impertinentes & constructives

Quelle rupture opérer en formation pour préparer les acteurs au nouveau monde ?

La formation a comme finalité de produire et de reproduire les compétences nécessaires au travail et plus généralement à la vie en société. Si l’école de jules ferry a su remplir sa mission d’adapter aux conditions du travail de la société industrielle, il semble que ce même modèle échoue à adapter les nouvelles générations aux conditions du travail dans la société post industrielle. Le contexte apprenant crée par le modèle de la formation tel que nous l’avons connu depuis des décennies était conçu pour produire de l’adaptation mais pas de l’adaptabilité. C’est une des difficultés que rencontrent les entreprises qui tentent d’innover en matière de management : trouver des personnes équipées de capacités à s’adapter, à apprendre, à construire un projet personnel. La question qui se pose à la formation est bien : Est il possible de créer un contexte apprenant qui développe les métacompétences nécessaires au travail dans une entreprise responsabilisante. L’avenir de la formation est bien là: redevenir capable de reproduire les rapport au travail comme elle l’a fait du temps de la société industrielle mais qu’elle ne sait plus faire dans la société post industrielle. Le contexte de travail a changé et les métacompétences nécessaires à l’actualisation des compétences professionnelles ont aussi changées .


La formation à la recherche d'un nouveau modèle

La crise du travail [1] que vit notre pays depuis de trop longues années se matérialise sous différentes formes comme par exemple la crise de l’emploi mais aussi la crise de la formation. La récente réforme de la formation montre à l’évidence le soucis de l’état de réajuster les modalités d’organisation de la formation. Mais le chemin est encore long qui conduira à retrouver l’adéquation entre le travail et les modes de reproduction des compétences au travail que sont supposé produire la formation.

Certains organismes de formation n’ont pas attendu la réforme pour mettre en place des processus innovants en matière d’organisation des parcours de formation. Pour préparer la révolution, mais aussi pour faire face aux problèmes posés par la crise de 2008, les organismes de formation ont pris le risque souvent dans l’incompréhension générale de changer de modèle. Au delà des plus médiatiques comme rue 42 de Xavier Niels, il en est de moins célèbre mais au moins aussi efficace comme par exemple l’ETPN (école de travaux publics de normandie).

L’aventure de l’ETPN [2] a commencé en 2009. Un moment où il s’agissait de trouver une solution aux problèmes économiques que leur ont posé un désintérêt de la profession  pour les processus de formation " sur catalogue " que proposaient les organismes de formation. La demande des entreprises avait déjà changé sans que les employeurs puissent dire clairement en quoi elle avait changé.
 
Dans le passage de la société industrielle à la société post industrielle, le travail a changé [3]. Les indicateurs de la crise du travail, conséquences de ce changement, sont nombreux : Le chômage d’inadéquation [4], la crise de la formation, la déqualification des acteurs de l’entreprise, l’incapacité des institutions à promouvoir et instituer une nécessaire formation permanente, l’échec des 35 H, l l’émergence de l’ubérisation, sont autant d’observables de l’incapacité de la société à changer son modèle de base, son " code source " dirait un informaticien. En même temps chacune des transgressions du modèle sont un discours sur les tentatives intuitives et pratiques des acteurs de trouver des solutions. L’aventure de l’ETPN parle de cette rupture, et semble précurseur de ce nouveau modèle à naître. Les éléments innovants de l’aventure ETPN se retrouvent  dans d’autres innovations pédagogiques menées par d’autres centres de formation sans forcément qu’ils se soient concertés.
 

La formation n'a pas seulement pour but de transmettre des savoirs techniques mais de préparer au monde du travail

Lorsqu’on analyse les invariants de ces nouveaux processus de formation, on peut voir une sorte d’écho, d’image des invariants qu’on trouve dans les bouleversements de  l’organisation du travail avec l’émergence de l’entreprise responsable plus connue dans sa forme commerciale de " l’entreprise libérée ".

Cette similitude des invariants peut confirmer que le travail et la formation sont dans la même transformation. Si l’un semble l’écho de l’autre c’est sans doute parce que l’un génère l’autre.

La crise de la formation est bien une crise de l’adéquation entre les compétences au  travail et les formes de leur reproduction. Depuis Bourdieu [5] on sait que la fonction de l’école est de reproduire les rapports de classe. Mais l’école a aussi comme fonction de reproduire les compétences à faire société, à construire sa place dans le système. C’est un enjeu nécessaire pour que la société se reproduise.

L’émergence d’outil nouveau (numérique IA etc..) changent les conditions du travail et influent sur les compétences nécessaires au travail. Il est logique que la formation dans sa fonction de reproduction des compétences soit impliquée dans ce changement d’ADN.
Cette révolution que vit la formation peut être vue comme un réajustement de sa fonction de reproduction des rapports sociaux et des compétences au travail.
 
Ces nouvelles pratiques de formation questionnent la façon dont on développe et valorise les compétences nécessaires au travail. Les nouvelles pratiques de recrutement nous permettent d’identifier ce dont l’entreprise a besoin pour que le travail se fasse dans le contexte incertain et complexe qui est le notre. Ces pratiques de recrutement cherchent à identifier et repérer les comportements souhaités au travail, au delà des compétences techniques. Pour employer les mots à la mode : les " métacompétences " " les soft skills " comme représentant le fin du fin de la performance au travail.

Cette question a concerné jusqu'à aujourd'hui les élites du travail « les hauts potentiels » sélectionnés dans des " asssesment center " encadrés par des " talents managers ". Mais elle commence à contaminer les niveaux de l’exécution. On entend souvent les patrons de PME dire : " La compétence c’est bien ! Mais ce que je cherche c’est quelqu'un qui a envie, qui peut s’adapter, qui prend des initiatives. Les connaissances techniques je peux les lui apporter si besoin ".

Au delà des compétences techniques qui restent nécessaires, les entreprises recherchent des exécutants capables de s’engager, d’innover pour s’adapter à l’incertitude et à la versatilité du travail et la labilité des savoirs et des compétences. Pour l’instant on se contente de chercher à les détecter (cela présupposerait qu’ils sont plutôt innés et liés à la personnalité du candidat.) Mais la course au graal des soft skills semble si difficile qu’on peut se demander si ce ne serait pas plus efficace de chercher à les développer par un processus de formation adapté.

Il semble assez évident que le modèle idéologique qui préside au système de formation français n’est pas adapté. Comment imaginer qu’un système de formation conçu pour développé l’adaptation au poste de travail pourrait permettre de révéler les " talents " [6]  individuels à s’adapter et à s’engager.

Chercher simplement à les détecter avec le plus perfectionné des outils peut paraître incertain. En effet les outils de détection des soft skills sont essentiellement basé sur du déclaratif : Ce qu’en dit la personne concernée. Rien ne nous dit qu’elle va effectivement mettre en œuvre ces talents dans le contexte professionnelle pour lequel on l’a recruté. C’est sur l’établi qu’on voit l’ouvrier. C’est dans la tempête qu’on voit le pilote disait saint Exupéry. Intégrer le développement de comportement d’adaptation dans le processus de formation permettrait d’une manière efficace de détecter les personnes les plus aptes pour cela et développer leurs talents. On sera sûr que la personne possède ces talents quand on l’aura vu effectivement mettre en œuvre dans un environnement où on lui aura permis de les développer.

Le rôle de la formation n’est pas seulement de développer des compétences techniques. C’est aussi de développer des comportements adaptés au travail. C’est dans la forme que prend la formation que se révèle cet aspect. Le contenu de la formation va déterminer les compétences techniques acquises. Mais c’est la forme que prend le processus pédagogique qui va influencer les comportements développés [7].

Au delà des contenus enseignés, la forme que prend l’organisation de l’environnement apprenant favorise ou limite le développement de comportements de coopération d’apprentissage autodirigé et d’autonomisation. D’une manière générale, la forme que prend la démarche pédagogique est une information sur les intentions de développement des comportements. Alors que le fond de l’enseignement, les contenus., nous donne une information sur les objectifs de développement des compétences.
 
La performance du processus de formation est le résultat du concours des deux : forme et fond. Fond et forme sont dans une circularité dynamique : Le fond sert de matière à l’acquisition des comportements que permet la forme et la forme permet l’acquisition de contenus.
 
Tant que la forme que prend la formation tend à développer des comportements d’adaptation, il ne faut pas s’étonner que les comportements qu’elle génère ne répondent pas aux attentes d’adaptabilité de l’entreprise.
 

Les nouvelles conditions pour réussir l'apprentissage

Les caractéristiques d’une formation qui révèle et développe les compétences d’adaptabilité peuvent se ramener à :
 
1) Un apprenant propriétaire de son projet de formation : Un apprenant qui s’auto-détermine tant dans l’élaboration de son savoir que dans la conduite de son projet
- 1.1  Un apprenant qui s’entraîne à trouver des ressources dans son environnement
Soit par la relation avec les autres. Auquel cas il développe des compétences à conduire des interactions constructives.
Soit par la relation avec des machines. Auquel cas il construit des compétences à utiliser les ressources techniques de son environnement et peut sortir de cette nouvelle forme d’analphabétisme qu’est l’incapacité à utiliser les robots  mis à la disposition de tous. Un analphabétisme qui touche une part importante de la population.
- 1.2  Un apprenant qui élabore un projet de formation. Auquel cas il construit la compétence à faire évoluer son projet de vie et sa professionnalité, a se penser dans l’avenir ou ailleurs.
 
L’incapacité à s’adapter aux évolutions rapide du marché du travail trouve souvent sa source dans l’incapacité des individus à articuler ces différentes compétences
 
2) Un formateur accompagnant :
- 2.1 Au service de l’apprenant et de son projet.
- 2.2  Non dépositaire du savoir
- 2.3 Expert en questionnement aidant l’apprenant sans penser à sa place.
- 2.4 Centré sur le processus (comment) plutôt que sur le produit (résultat). Son rôle est de promouvoir les processus d’apprentissage plutôt que de donner du savoir déjà constitué.
 
3) Un environnement qui promeut le développement individuel dans un contexte de coopération. La mise en compétition des individus n’est plus la seule manière de mettre en relation les personnes. Promouvoir la coopétition c’est à dire le mélange de l’émulation et de la coopération. On peut mesurer la différence entre les personnes, à partir du moment ou l’on se donne les moyens de mesurer les progrès de chacun.
- 3.1 La  salle de classe n’est plus le lieu central de l’apprentissage. Les espaces de travail propice à développer les coopérations  doivent regrouper des niveaux hétérogènes de compétence et de projet.
- 3.2 La fin des injonctions descendantes sur le contenu.
- 3.3 La fin du contrôle descendant et indifférencié.
 
La formation va alors se mettre à ressembler au monde du travail tel qu’il s’annonce dans les modes de gouvernances alternatives qui se développent pour faire face à la crise du travail [8] :
- L’acteur est propriétaire de son action : Dans l’entreprise, les processus de travail sont la  propriété de l’acteur, comme les processus de formation sont la propriété de l’apprenant dans le centre de formation.
- Le retour de la coopération : on privilégie le travail d’équipe en entreprise comme on privilégie les coopérations en formation
- La fin de la compétition : L’émulation remplace la compétition et permet la coopétition.
- L’engagement des personnes comme moteur de l’action plutôt que le contrôle et la sanction.
- Un moyen de rendre permanent l’apprentissage: Que ce soit dans le travail ou dans les processus de formation, un système adaptable passe son temps à se réinventer en permanence. C’est l’entreprise apprenante dans tous les sens du terme :
- L’entreprise comme lieu d’apprentissage et de développement de compétences pour les salariés.
- L’entreprise qui " s’apprend ", une entreprise qui produit de la connaissance d’une manière autonome pour s’adapter à son environnement changeant.
 

Notes de bas de page

2 - Organisme de formation du BTP . Un compte rendu exploratoire de ces pratiques innovantes est en cours de réalisation
6 - " Talent " un mot valise dont la définition nous échappe, comme le montre Pierre Michel Menger (sociologue enseignant au collège de France). L’emploi de ce mot valise nous montre l’incertitude dans lequel nous nous trouvons face à ces questions d’un  monde complexe nécessitant un acteur autonome et responsable.
7 - La forme c’est le fond qui remonte. V.Hugo
8 - Voir la littérature pléthorique sur l’entreprise libérée., A titre d’exemple :

Présentation de l'auteur : Denis Bismuth

Fondateur dirigeant de la société Métavision .

Coach de dirigeants depuis 1996, il accompagne le management intermédiaire depuis 1999 au travers d’une méthodologie d’analyse de pratiques originale qu'il a crée: les groupes de coprofessionnalisation ©. Expert management auprès de la revue H B R, il supervise des formateurs et des coachs. Il est par ailleurs diplômé d'un Master II Cnam formation des adultes.

Actions récentes (2014)
- Accompagnement de l’équipe managériale de Thalès ED sur le thème : changer de modèle managérial.
- Accompagnement du management intermédiaire de la R&D. de l’Oréal sur le thème : le manager du futur : management de l’innovation et innovation managériale.
 

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Denis Bismuth

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