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Les 4 Temps du Management - Réinventer le Management
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Les 4 Temps du Management

Chroniques impertinentes et constructives

De la difficulté d'être libre


La nouvelle donne technologique transforme les équilibres sociaux

Depuis l’invention des premières machines, l’automatisation du travail réduit chaque jour le champ des activités dévolues aux humains. Les machines ont d’abord remplacé les hommes dans le travail de force et le travail répétitif. Les travailleurs de force peu qualifiés se sont trouvés exclus du champ du travail, jusqu’à disparaître. Ce qui n’a fait qu’augmenter le nombre d’inactifs faisant fondre autant les muscles des travailleurs de force, le sentiment d’appartenance et d’utilité, que le désir de contribuer de ces "irrecyclables" du travail.

En même temps, une nouvelle nécessité est apparue : Celle d’un « smic culturel » pour pouvoir interagir avec les machines dans une société se complexifiant. L’illettrisme est à ce moment là devenu un problème à résoudre. L’accès à la lecture pour tous est passé du statut d’idéal moral à celui de nécessité sociale, et l’on a vu l’état investir énormément de moyens dans des actions d’alphabétisation dont le retour sur investissement serait encore à évaluer.

L’invention de l’informatique des robots, et maintenant l’intelligence artificielle, ont encore plus réduit le champ des activités réservées aux humains : les robots n’assistent plus seulement les hommes dans les taches physiques mais aussi dans les taches intellectuelles. Ils deviennent capables de gérer de l’information et de prendre des décisions. Ces aides à l’activité ont plusieurs conséquences :
- Démultiplier les capacités de création et de production des sociétés,
- Produire des changements et accélérer le progrès au delà de nos capacités d’adaptation,
- Exclure des populations de plus en plus nombreuses du champ de l’activité sociale.

Comme la machine du XX ième siècle a rendu inutile les travailleurs de force peu qualifiés et a crée une demande de travailleurs équipés d’un smic culturel, l’intelligence artificielle et la robotisation tendent à rendre inutile les populations sachant gérer de l’information et prendre des décisions : les tacherons intellectuels. Ces OS de la gestion de l’information facilement remplacés par nos téléphones intelligents. Ces nouveaux outils qui ont fait exploser les frontières des territoires du travail. Faisant de chacun de nous tour à tour employé de banque quand il gère ses comptes, agent de comptoir Sncf quand il prend son billet de train, agent immobilier quand il surfe sur les sites d’appartements à louer, etc..

En même temps cette nouvelle donne technologique crée une demande nouvelle : l’adaptabilité, la pluridisciplinarité et l’interdisciplinarité.

L'individu hyper moderne contraint à l'autonomie

La capacité à s’adapter est devenu la nouvelle exigence sociale comme l’accès à la lecture en son temps. Pouvoir s’adapter suppose une capacité d’engagement et une capacité à requestionner en permanence son identité professionnelle mais aussi personnelle. L’injonction faites aux citoyens d’être autonomes et adaptables laisse à l’individu la responsabilité de faire ses choix, de gérer sa vie et ses besoins.

Il est contraint d’être libre et de s’autodéterminer. Injonction paradoxale qui en met certain nombre de nos concitoyens dans une souffrance qu’il est incapable de gérer parce qu’incapable d’accéder au sens de tout ce bouleversement. C’est le sauve qui peut du sens commun. Le recours à tous ces directeurs de conscience spiritualiste et pas toujours spirituels, ces nouveaux animateurs socioculturels que sont les coaches, est un discours sur le sentiment d’égarement dans lequel se trouve plongé une population sommée de s’autodéterminer. Ces nouveaux guides des égarés souvent tout aussi égarés que ceux qu’ils tentent de guider, deviennent les nouveaux travailleurs sociaux chargés d’aider à la régulation des rapports humains désintégrés d’une part par l’injonction d’être autonome et d’autre part par le fait que les moyens techniques rendent inutile la solidarité et la coopération et isolent des humains ayant de moins en moins besoin des autres.

Comme en son temps l’accès à la lecture, la capacité à être libre et autonome qui été un idéal morale, devient une nécessité sociale. Sans qu’on ait le choix. Que vous le vouliez ou non, vous êtes sommés d’être libre ! Chacun pour soi, chacun son Soi. Sommé de se débrouiller avec l’indétermination dans laquelle nous plonge cette absence de sens partagé, on peut comprendre dans l’émergence des intolérances d’extrême droite, la nostalgie confortable à certains égards, qu’on pu représenter les sociétés fondées sur un ordre morale imposé.

Qu’est ce qui est le plus difficile à supporter ? L’imposition d’un ordre morale contre lequel on peut s’élever ou que l’on peut transgresser d’une manière cachée ? Ou l’injonction à définir soi-même le sens de sa vie qui nous laisse décontenancé dans le sens premier du terme : pas contenu ?

On voit bien comment ce qu’on appelle l’Ubérisation de la société conduit à marche forcée les populations de travailleurs à abandonner leurs privilèges, leurs « pré-carré », et les oblige à s’adapter se réinventer en permanence sans l’avoir choisi. Les combats d’arrière garde pour conserver les avantages acquis sont évidemment perdu d’avance. L’accès à la capacité de s’autodéterminée n’est pas une mince affaire !

Peut-on apprendre à être libre et autonome comme on apprend à lire et à écrire ? Où est l’école de la liberté quand l’instruction publique n’a comme fonction que de reproduire les rapports sociaux à l’identique ? Et d’ailleurs comment l’école pourrait-elle encore reproduire les rapports sociaux à l’identique puisqu’il n’y a plus d’identique, maintenant que « plus personne n’est comme tout le monde »

Tout ce bruit autour de l’entreprise responsable, de la crise mondiale de la souffrance au travail, la revendication du bonheur, est un discours sur le sentiment d’égarement d’individus qui ne se sentent plus contenus par des contraintes extérieures et qui ne savent pas quoi faire de tous ces possibles, n’ayant pas appris à faire des choix et donc à renoncer.


Denis Bismuth
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