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Les 4 Temps du Management

Le Temps des Valeurs

4.42 : Les entreprises libérées ont elles une histoire ? : De la doctrine sociale de l'Eglise au Personnalisme (2)


Emmanuel Mounier : Personne, communauté, autorité

La pensée personnaliste est née dans les années 1930. C’est une conception qui a profondément marqué Adriano Olivetti. Portée par Emmanuel Mounier et quelques autres comme, Raymond Aron, Denis de Rougement, Alexandre Marc, Jean-Louis Loubet del Bayle, à travers la Revue Esprit, elle refuse la réduction objectivante de l’humain engendrée par l’industrialisation. C’est une critique de l’idéologie gestionnaire avant l’heure, notamment du fordisme et de ses avatars qui considère que tous les individus sont interchangeables. Il les dépossède de leur véritable nature en les transformant en variable abstraite, mus par le seul intérêt égoïste. Dans cet univers exclusivement positiviste l’homme devient une chose.

Face à cela, le personnalisme affirme « le primat de la personne humaine sur les nécessités matérielles et sur les appareils collectifs qui soutiennent son développement » (Mounier, 1936) Le capitalisme prive les Hommes de leur capacité de création et de liberté. Ils ne sont plus responsables des fruits de leur travail et n’en n’ont plus l’initiative.

Le marxisme ne résout pas pour autant le problème. En refusant de prendre en compte leur besoin de spiritualité, il les laisse dans leur seule préoccupation matérielle. Dans les deux cas, il reste enfermé dans une représentation utilitaire de la société. « L’importance exorbitante prise aujourd’hui par les problèmes économiques dans les préoccupations de tous est le signe d’une maladie sociale ».

Le personnalisme prône la primauté de l’humain sur la matière. L’économie doit être au service de l’humain et non d’elle-même. Le travail doit l’emporter sur le capital ; la responsabilité personnelle sur l’appareil anonyme ; le service à autrui sur le profit. Il faut remplacer la maximisation des profits par la maximisation de l’épanouissement des personnes.

Emmanuel Mounier invite par ailleurs ses concitoyens à adopter une « généreuse simplicité » ; il plaide pour une consommation articulée à une éthique des besoins plutôt que la recherche effrénée de l’accumulation. « La circulation des biens et des services est une nécessité tandis que l’accumulation est une catastrophe » (Mounier, 1936). Il faut pour cela pratiquer une ascèse au quotidien en étant attentif à trouver « un juste équilibre entre le nécessaire et le superflu ».

Pour Emmanuel Mounier, il ne faut pas se laisser enfermer dans les « vérités normatives » de la société de consommation qui détournent l’individu de lui-même pour en faire un être docile et conforme aux attentes du pouvoir marchand dominant. Cette conception de ce qu’il faut bien appeler l’aliénation fondamentale du sujet (Lacan, ?) n’est pas sans rappeler celle de Foucault (1980) qui,, décrira, plus tard, en détail les techniques de chosification qui sont mises en œuvre pour y parvenir. Comme Mounier, il plaidera pour une insurrection contre les effets de ce pouvoir invisible qui façonne et condamne les gens à la banalisation.

Pour sortir de cette colonisation de l’esprit, Mounier nous invite à « refaire renaissance ». Cela veut se repenser en tant que Personne dans la société et dans les organisations. Cette redéfinition de soi passe par une double action : d’un côté, résister aux conformismes ambiants et d’un autre créer et ou participer à « des communautés coopératives agissantes ».

Développer sa singularité ne signifie pas pour Emmanuel Mounier se démarquer de la masse dans une indifférence. Si nous sommes riches ce n’est pas pour être insensibles à ceux qui sont dans la pauvreté. Mais prendre conscience de ces différences et se mettre au service du bien commun. Le personnalisme en effet ne se dissocie pas de la pensée chrétienne. Il cherche simplement des voies pour lui donner une dignité opérationnelle. Cette singularité n’est pas affirmation de l’égo, elle est effort pour exister dans une différence que l’Autre me reconnait. L’individu ne se fait pas « soi » tout seul. Il ne peut devenir une personne que dans l’intersubjectivité. C’est la rencontre avec l’Autre qui révèle sa singularité.

Ainsi, si la personne est le fondement de la dignité humaine elle n’est pas l’absolu » (2000), c’est dans le « Nous » que le « Je » se développe. L’Homme ne peut se sauver seul. Il doit participer à la transformation du monde en s’engageant dans des communautés qui « veulent se dévouer » à l’Esprit.

Se dévouer à l’Esprit signifie entreprendre des actions concrètes pour sauver ou libérer la dignité de l’Homme. Les occasions ne manquent pas à ce sujet. Il suffit de sortir de soi un instant pour voir la souffrance des Hommes. L’accès à l’eau potable, l’éducation, le droit de travailler, etc… sont autant de causes qui justifient la sortie du moi individuel égocentrique et bourgeois que la société capitaliste à façonner en nous et l’adhésion raisonnée à des communautés de pratiques transformatrices.

C’est en répondant à ces deux exigences que l’Homme accède à une vie profonde. L’ascèse personnaliste consiste à pratiquer « des temps de dégagement réflexif et des temps d’engagement communautaire » (1966)

Dans son essai « Communisme, anarchie et personnalisme » (1966), Emmanuel Mounier, propose par ailleurs, une réflexion intéressante sur l’autorité. Sa doctrine s’appuie sur les travaux d’un théologien chrétien : Laberthonnière (1860 – 1932). Il semble qu’elle ait par la suite largement inspiré la doctrine chrétienne de l’autorité. Si la société était composée d’Hommes justes, il n’y aurait pas besoin d’autorité. Mais les êtres humains naissent inachevés : ce sont des êtres en devenir. Ils ont besoin d’un appui pour développer leur humanité. C’est précisément cet inachèvement, qui, selon Mounier, fonde et légitime l’autorité.

L’autorité a deux fonctions : rendre les Hommes meilleurs et préserver le bien commun. L’autorité n’est pas le pouvoir. Elle ne doit en aucun aliéner la liberté d’autrui mais l’aider à grandir. Celui qui occupe une position d’autorité est donc un « servant » (Laberthonnière, 1955). Il est au service de l’Autre. Il est là pour l’aider à se rapprocher de sa nature divine.

L’autorité qu’il faut donc mettre en œuvre est un acte d’amour qui passe par l’attention qu’on accorde à autrui pour l’orienter vers le Bien. Cela passe par le respect de sa dignité en tant que personne différenciée et la capacité à créer un cadre social qui facilite son épanouissement.

L’autorité ne peut – être au service d’elle-même, sous peine de devenir autoritarisme. Elle est inspirée par des valeurs supérieures qui dépassent le seul individu. Concrètement, cela se traduit par un comportement d’exemplarité. Dans le cas contraire, quand l’autorité est caprice totalitaire, il convient de lui résister, voire de lui désobéir.



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