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Les 4 Temps du Management

Le Temps de la Strategie

3.31 La valeur : un concept clé pour construire des stratégies innovantes (1)


Introduction : Le concept de valeur à fait l'objet de nombreuses controverses en économie

Selon les auteurs, il existe deux grands systèmes de conception de la Valeur : une conception objective et une conception subjective.

- La conception objective de la valeur se construit à partir des éléments réels qui ont été mis en jeu dans la fabrication d'un produit ou d'un service : matières, recherche - développement, investissement machines, temps de travail, coût de distribution, profits etc... Il est possible de mesurer les différents agrégats qui constituent le produit et le service et ainsi de définir le " juste prix ". On retrouvera dans cette vision des auteurs comme Adam Smith, David Ricardo (1772-1823), Karl Marx

- La conception subjective de la valeur repose sur " la désidérabilité " du bien par le consommateur. C'est le désir de celui-ci qui fonde la valeur. Il s'agit donc d'une estimation qui est faite par les acteurs économiques en fonction davantage de ce qu'il représente que des coûts réels liés aux ressources mobilisées pour le fabriquer. La valeur par exemple d'une oeuvre d'art s'inscrit dans cette conception. Il est impossible de définir son prix en fonction de son coût de fabrication mais en fonction d'une évaluation subjective attribuée par le marché. Des auteurs très anciens comme Démocrite, Saint Thomas Daquin, ou les scolastiques espagnoles ont inspiré cette conception qui a été reprise par des économistes comme Turgot, Jean Baptiste Say, Condillac, Carl Menger et Leon Walras.

L'effondrement de pans entiers de notre économie nous invite très sérieusement à revisiter les théories qui ont fondé nos raisonnements. Dans le premier article de cette série sur la Valeur, nous nous proposons d'approfondir les théories classiques portées par Adam Smith, Ricardo et Karl Marx. Ce retour (trop rapide) sur ces auteurs nous permettra de constater qu'ils ne sont pas, encore aujourd'hui, sans influencer nos stratégies de développement et plus prosaïquement nos pratiques de gestion.

Pour Adam Smith, David Ricardo et Karl Marx la valeur d'une marchandise est d'abord le produit du travail des hommes

Adam Smith (1723-1790), distingue la valeur d'usage et la valeur d'échange. La valeur d'usage d'un produit ou d'un service est lié à son utilité. La valeur d'échange renvoie à la quantité de biens qu'il faut échanger pour obtenir le produit. Ces deux concepts n'ont pas de lien entre eux. L'eau, par exemple est un bien dont tout le monde a besoin ; il est donc très utile, tandis qu'un diamant ne présente pas une utilité vitale mais possède une valeur d'échange très élévée puisque pour l'obtenir, il faudra offrir une grande quantité de marchandises.

Selon Adam Smith, la richesse peut se définir comme la capacité que possède un individu à se procurer " des choses commodes ou agréables à la vie ". Cette capacité dépend, selon lui, en définitive du capital qu'il peut investir et de la quantité de travail qu'il peut " produire ou commander ", car toute production est elle-même issue du travail. " Le travail est donc la seule mesure universelle, aussi bien que la seule exacte, des valeurs ; le seul étalon qui puisse nous servir à comparer les valeurs des différentes marchandises à toutes les époques et en tous les lieux ". Si on veut accroître " La richesse des nations ", il faut donc optimiser la productivité du travail en divisant le travail et en " augmentant la quantité d'ouvrages qu'un même nombre de bras est en état de fournir ".

Cependant pour que cette orientation soit intéressante, il est nécessaire qu'il y ait une certaine quantité d'échanges. C'est donc la taille des marchés qui détermine la création de richesse. C'est pourquoi Adam Smith est partisan du libre échange. Dans cette perspective, Il faut donc laisser faire les marchés (théorie de la main invisible) ; ceux-ci se réguleront d'eux-mêmes dans l'intérêt de tous parce que les hommes sont, par principe, à la recherche de leur propre intérêt et cet intérêt ce ne peut les mener qu'au bien commun.

Pour faciliter les échanges, il faut sortir du troc et faciliter la circulation de la monnaie. Plus il y a de la monnaie dans une économie, plus cette économie aura des chances de se développer. Mais la valeur d'un produit doit rester articulée sur la quantité de travail qu'il faut pour le produire. Le prix d'un produit dépend donc avant tout du prix du travail. Mais pour que cet équilibre soit maintenu, il faut que l'offre et la demande s'équilibre. Si le produit est rare, sa valeur augmentera. Adam Smith s'interroge sans résoudre la question sur cette impossible symétrie.

Si le prix de la marchandise est constitué par le coût du travail, il faut aussi y intégrer la rente qui sert à renouveler les outils de production et à payer le risque pris par les investisseurs. " Le taux élevé ou bas des salaires et des profits est la cause du prix élevé ou bas des marchandises. Le taux élevé ou bas de la rente est le fruit des prix ".

David Ricardo (1772 - 1823) partage les mêmes convictions qu'Adam Smith à propos du capital et du travail. Pour lui la valeur d'échange des marchandises, c'est-à-dire leur prix, ne peut pas dépendre de leur utilité (valeur d'usage) mais de la quantité de travail qu'il est nécessaire de consacrer pour les produire. Il reprend l'exemple de l'eau en montrant qu'à l'évidence, il s'agit d'une ressource très utile mais qui a une valeur d'échange faible (parce qu'il ne faut pas une très grande quantité de travail pour la produire). Cependant Ricardo nuance son propos en considérant que le prix d'une marchandise peut être également influencé par sa rareté. S 'il est rare, son prix pourra évidemment augmenter.

Ricardo défend également la théorie de " l'avantage comparatif " qui prétend que chaque nation a intérêt à se spécialiser dans la production où elle possède l'avantage le plus élevé par rapport aux autres nations. C'est en effet en se spécialisant que les acteurs économiques peuvent espérer s'enrichir car cela leur permet de baisser le cout de fabrication qui diminuera en fonction de la quantité de marchandises fabriquées. Pour illustrer son propos Ricardo compare les quantités de travail nécessaires pour produire des draps et du vin en Angleterre et au Portugal. Si, avec la même quantité de travail, le Portugal fabrique 10 paires de draps et 150 litres de vin et que l'Angleterre fabrique 20 paires de draps et 100 litres de vin, l'Angleterre aura intérêt à se spécialiser dans la fabrication des draps tandis que le Portugal aura intérêt à se spécialiser dans la production de vins. En fabriquant 30 paires de draps au lieu de 20, elle pourra acheter 300 litres de vin au Portugal qui s'enrichira aussi davantage.

Mais Ricardo comme d'ailleurs Adam Smith ne croient pas à une croissance infinie. Si les coûts diminuent au fur et à mesure que l'entreprise augmente ses volumes de production (rendements croissants), à un certain moment de la vie du produit, les moyens supplémentaires de production investis ne contribuent plus à améliorer la rentabilité. On parle à ce moment de rendements décroissants. Pour comprendre ce concept, prenons l'exemple d'une mine, plus on voudra extraire de minerai plus il sera nécessaire d’aller le chercher en profondeur, et donc plus l’extraction de minerai supplémentaire devrait coûter cher. Ricardo a emprunté cet effet de rendement décroissant à l’agriculture. En général, on choisira de cultiver au départ les bonnes terrres et par la suite on prendra les terres moins fertiles. Si on prend l'exemple de la fabrication des voitures, les coûts de production diminueront avec l'effet de volume. On parlera alors d'effets de rendement croissant jusqu'au moment où les prix chuteront du fait de la loi de l'offre et de la demande (de la concurrence). Alors, même en continuant d'investir, le coût de fabrication ne sera plus incompressible et on rentrera dans un processus de rendements décroissants.

Marx considère aussi que la valeur d'une marchandise provient non seulement de la quantité de travail produite comme Smith ou Ricardo, mais plus exactement du coût du travail : " En tant que valeurs toutes les marchandises ne sont que du travail humain cristallisé ". Plus la marchandise demandera du travail humain, plus sa valeur sera forte. Elle diminuera si on automatise sa fabrication en faisant appel à des machines donc à du capital.

Cependant si la valeur travail est déterminante, ce qui fait la valeur d'une marchandise ce n'est pas seulement la quantité de travail nécessaire pour la produire mais aussi sa valeur d'échange. Le travail domestique a une utilité : cuisiner, nettoyer, décorer son intérieur, etc..., mais ne produit pas de marchandises susceptibles d'être échangées et est donc sans valeur. Les marchandises qui sont impossibles à échanger n'ont donc pas de valeur au sens marchand du terme. La valeur d'une marchandise est donc " inséparable des rapports sociaux de l'échange et de la production ". Une marchandise n'est donc pas un objet concret en soi comme l'approche purement comptable pourrait le laisser penser, " c'est d'abord le produit du travail destiné à l'échange ".

La valeur d'échange d'une marchandise n'est cependant pas sans lien avec la valeur d'usage car un bien n'ayant pas d'utilité ne trouvera jamais acquéreur et n'aura donc de ce fait aucune valeur d'échange. La valeur d'échange d'une marchandise ne peut donc se résumer à la simple valeur travail, elle est aussi l'expression des rapports sociaux. Dans les sociétés modernes, les échanges sont devenus d'autant plus inévitables que l'organisation sociale repose sur une division du travail. Les hommes ne peuvent plus, en effet, satisfaire leurs besoins par eux-mêmes, ils ont besoin du travail des autres. Plus qu'un bien concret les marchandises sont un " produit du travail destiné à l'échange " (Albertini : 307, 2001).

La valeur d'échange d'une marchandise est également modulée par la loi de l'offre et de la demande et donc par la concurrence. Comme l'équilibre entre ces deux forces est rarement équilibré, il y a forcément des fluctuations de prix donc de marges que les propriétaires vont essayer de limiter en jouant sur la " productivité ". La baisse des taux de profits entraine, de ce fait, une " surexploitation " de la force de travail que Marx assimile " à une extorsion de la plus value " dans la mesure où cet effort supplémentaire du " Travail " donnera lieu à une redistribution toujours inéquitable.

La création de la valeur selon Marx passe donc tojours par l'exploitation des travailleurs. Il faut donc qu'ils se rapproprient au plus vite les moyens de production " pour tirer pleinement profit " de leur travail puisqu'ils en sont les principaux contributeurs ; puisque sans le Travail, les machines ne pourraient à elles seules produire des marchandises.et donc de la richesse...

Conclusion provisoire

Malgré des différences significatives, ces auteurs considérés comme " les classiques " mettent en relation la valeur de la marchandise avec la quantité de travail ou le coût du travail. En cela, ils s'inscrivent dans une approche productiviste très en cohérence avec les stratégies industrielles de volume des 50 glorieuses centrées sur la recherche d'économie d'échelle et la compétitivité Prix.

Si leurs apports ont été déterminants, à un moment donné de l'histoire économique, il semble difficile de rester attaché à cette représentation de la valeur qui ne conçoit que le travail qu'en termes de quantité et d'aliénation. Ce qui est le plus étonnant c'est qu'elle semble encore inspirée certaines politiques gouvernementales qui considèrent que " travailler plus est une solution pour gagner plus ". L'expérience montre que cette orientation aujourd'hui n'est plus opérante ni pour les entrepreneurs ni pour les salariés. Il semble urgent de se tourner vers d'autres théories plus adaptées. Peut -être les économistes dits " marginalistes " ont-ils des propositions plus utiles pour l'action à nous faire ?

La division du travail selon Adam Smith (réalisé par les étudiants d' HEC Montréal)


Les avantages comparatifs selon David Ricardo (Ecodico BNP Paribas)




 

Karl Marx par Edgar Morin


La mondialisation : une conséquence des théories d'Adam Smith




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