Connectez-vous S'inscrire
Les 4 Temps du Management - Réinventer le Management
Explorer en profondeur les innovations managériales...
Les 4 Temps du Management

Le Temps de l'Action

1.30 Prendre soin de soi-même et des autres au quotidien



1. Le coût personnel de l'excellence

Les organisations néo-libérales occidentales sont confrontées à des défis "titanesques". Pour y répondre, elles ont besoin d'une implication de plus en plus profonde des personnes. Comme le montre la sociologie clinique, il faut se donner "corps et âme" aux organisations.

Vincent de Gaulejac montre que cela n'est pas sans conséquences pour les individus. Les systèmes de management vont tenter peu à peu de capter l'intimité psychique du sujet pour l'inviter à se confondre avec les besoins de l'organisation. Ce faisant, il est amené à renoncer de façon significative à lui-même en remplaçant son Moi par l'Idéal du Moi de l'organisation. Il reçoit pour cela de nombreuses gratifications de la part de l'entreprise et de la société.

Pire même, pour tenir ce pacte, certains cadres n'hésitent pas à faire appel à une pharmacopée, dignes de quelques sportifs de haut niveau suspectés d'avoir recours à des produits stimulants. Un cadre sur 5, selon l'expansion " se doperait aux médicaments pour faire face aux tracas de la vie quotidienne ".

Ce phénomène n'est pas nouveau. Déjà en 1991, dans son livre sur le culte de la performance, le sociologue Ehrenberg mettait en évidence la montée croissante de la compétition entre les individus. En 2001, La revue Santé et Travail de la mutualité française confirmait également ce phénomène.

On commence à s'apercevoir aujourd'hui que l'excellence peut avoir un coût très élevé pour les individus. Cela commence par du stress, du surmenage, de l'irritation grandissante pour se transformer peu à peu, selon Ehrenberg, en la fatigue d'être soi . les étapes suivantes sont évidemment plus dramatique : dépression, épuisement profond, etc... Les termes de "mobbing", de "burn out" ou de "karochi" traduisent bien cette phase extrême.

2. Les signes de l'aliénation néo-libérale

On sait aujourd'hui par quels mécanismes psychiques souterrains s'opère la séduction des systèmes managinaires sur les individus. Pour que celui-ci donne le meilleur de lui-même, il s'agit de capter son Idéal du Moi pour le remplacer par celui de l'organisation. Ce processus n'est pas sans ressemblance avec " l'hypnose amoureuse ". Dans le temps de l'idéalisation, en effet les sujets s'illusionnent mutuellement en effaçant les aspects moins lumineux d'eux-mêmes qui se révéleront beaucoup plus tard à l'épreuve du Réel. La captation de l'Idéal du Moi s'accompagne toujours d'une certaine anesthésie. Le sujet ne se sent plus. Il sait simplement qu'il est proche de faire l'expérience de sa propre réalisation. Tant que dure cette captation imaginaire, le renoncement à lui-même ne lui coûte pas beaucoup car il est dans une sorte d'euphorie " narcissique ".

Cependant, peu à peu certains signes apparaissent. Le sujet consacre de moins en temps à ses propres passions ou hobbies ; néglige de garder de l'énergie pour les siens et ressent une fatigue de plus en plus importante. La fatigue du soir et des week-ends sont particulièrement significatives de cet état d'aliénation. Ce n'est que lorsqu'il revient provisoirement à lui qu'il retrouve les sensations de son corps et peut commencer à mesurer "le coût de l'excellence"

L'analyse de son emploi du temps pourrait aussi être un bon indicateur de la place qu'il s'accorde. Elle est souvent réduite à une peau de chagrin. En ne laissant plus de trace de lui-même dans son agenda, c'est tout simplement lui-même que le sujet a supprimé.

Cette désertion de soi se traduit également souvent dans la gestion administrative de sa propre existence : les documents administratifs s'accumulent, la gestion des comptes bancaires devient de plus en plus incertaines, la voiture personnelle de plus en plus sale et bordélique, etc... En se perdant dans les demandes de la toute puissante organisation, le sujet a l'impression de faire l'expérience d'un certain "nirvana" qui le rend insensible aux vicissitudes de l'existence ordinaire, totalement emporté, exalté, par cette pseudo- expérience de toute puissance.

La première étape est de se demander à quoi tout cela mène-t-il ? Si la joie n'est pas au rendez-vous, c'est que le chemin ne mène pas à Rome mais vers la maison de l'Ogre du Petit Poucet. L'individu est " dévoré " par l'organisation.

3. La thérapie du petit Poucet

L'histoire du petit Poucet est assez révélatrice du processus thérapeutique à mettre en oeuvre. Un soir d'été, les parents se retirent dans la cuisine pour évoquer la situation. Ils n'ont plus d'argent pour nourrir leurs enfants. C'est la misère.

Il faut entendre cette première partie du conte comme une description du coût de l'excellence. Le sujet n'est plus nourri dans sa subjectivité. Il est devenu un "objet"  de l'organisation. Il ne s'appartient plus. tout ce qui peut le définir en tant qu'individu est en train de disparaître. Son Moi s'efface... En dehors de l'organisation qui le porte, il n'existe plus pour lui-même. C'est généralement l'expérience d'une grande solitude. A quoi tous ses efforts servent- ils ? Il ne lui est pas possible, à cet instant de répondre à cette terrifique question.

Ne voyant aucune solution, les parents décident de perdre leurs enfants dans la forêt. Le lecteur pourrait trouver cela scandaleux. Mais leur désespoir est tel qu'ils n'ont que faire des jugements de valeur. Ils partent au petit matin avec leurs 7 enfants dans la forêt et profitant d'un moment de repos, ils les abandonnent dans la forêt. Les enfants sont évidemment désespérés. Mais c'est sans compter sur l'intelligence du Petit Poucet qui avait tout entendu ,caché sous la table, lors de leur discussion dans la cuisine. Sa petite taille le rendait quasiment invisible. Avant le départ, Il avait pris soin d'emporter avec lui un sac de petits cailloux qu'il avait régulièrement laissés tomber sur le chemin, tout au long du parcours. Grâce à cette astuce, il peut ramener le lendemain matin ses frères et soeurs à la maison. Inutile de vous dire que les parents furent plus que soulagés car on n'abandonne pas ses enfants de gaîté de coeur !

Cette seconde partie met évidence combien le désir de vivre chez chacun de nous est fort. Même dans la misère psychologique la plus forte, aucun individu ne peut accepter de disparaître. Il mettra en place des mécanismes de survie pour ne pas totalement disparaître. C'est sans doute ce que nous faisons quand nous sommes pris dans des circonstances particulièrement aliénantes. Le désir d'exister reste toujours présent. Tant que nous pouvons garder contact avec lui, même à minima, il est toujours possible de survivre.

Malgré la joie d'avoir retrouvé leurs enfants, très vite les parents se retrouvèrent en face de leur problème. Il était dans l'impossibilité de nourrir leurs enfants. Ils décidèrent une nouvelle fois de perdre leurs enfants en prenant cette fois-ci la précaution de rester très discrets sur l'organisation de cette opération. Le Petit Poucet avait cependant une fois de plus tout entendu mais n'avait pu se procurer que quelques morceaux de mie de pain. Lorsqu'avec ses frères et soeurs, ils se retrouvèrent perdus dans la forêt, ils ne purent retrouver leur chemin car les oiseaux avaient mangés les petits morceaux de mie de pain que le Petit Poucet avait pourtant soigneusement laissé tomber tout au long de la journée. Cette fois-ci, Ils étaient bien perdus.

Il arrive parfois dans l'existence que nous puissions totalement nous laisser capter et perdre totalement notre lucidité. C'est évidemment alors l'expérience d'une grande angoisse et d'une grande souffrance.

Les frères et soeurs décidèrent alors de continuer de marcher dans la forêt. Ils marchèrent longtemps, très longtemps... Très très longtemps... Et au bout d'un certain temps, ils aperçurent une lumière dans la nuit. Celle-ci devint leur guide. Ils ne la quittèrent pas des yeux et continuèrent à marcher jusqu'à ce qu'il arrivèrent près d'un manoir très fortifié et plutôt lugubre. Ils frappèrent à la porte. Un géant borgne apparu. Malgré son air patibulaire, il accepta de les héberger pour la nuit. Les enfants terrifiés se couchèrent alors dans un dortoir où dormaient également d'autres enfants dont la tête était recouverte d'un bonnet identique. C'était les filles du géant. En fait, ils le surent plus tard, le géant était un ogre.

La rencontre avec l'ogre représente le désir de toute puissance de l'enfant qui, selon la psychanalyse, n'a jamais cessé d'exister à l'intérieur de nous. Si l'oedipe, s'est bien passé, celui-ci reste maîtrisable car le premier deuil fondamental s'est opéré. Si le tiers n'a pu prendre sa place entre le désir de l'enfant et la mère, selon la psychanalyse, ce désir sera toujours aussi exacerbé et l'individu comme l'ogre sera habité par une avidité de puissance sans limite.

Le Petit Poucet avait une réelle clairvoyance. Intuitivement, il sut qu'il y avait un grand risque à s'endormir dans le lieu que ce géant si peu aimable avait offert. Il entendit le géant parler avec sa femme. Tous deux se réjouissaient du festin possible : 7 petits enfants à rôtir, voilà un met bien comestible. Le géant expliquait comment il allait commettre son forfait. Il les égorgerait un par un durant leur sommeil. Ses propres enfants ne se réveilleraient pas car leur mère leur avait fait boire un breuvage pour les endormir et leur permettre de bien se reposer. Par ailleurs, le géant précisa qu'il enlèverait ses bottes pour ne pas faire de bruit.

Devant cette menace, le Petit Poucet avertit ses frères et soeurs et leur demanda d'enlever discrètement les bonnets des enfants du géant pour les mettre sur leur tête. Comme ils avaient entièrement confiance en lui, ils s'exécutèrent sans bruit. Lorsque le géant entrant dans la pièce, il exécuta sans bruit un à un les enfants qui ne possédaient pas de bonnet tandis que les frères et soeurs du Petit Poucet faisaient semblant de dormir en faisant croire au géant qu'ils étaient ses enfants du fait des bonnets qu'ils avaient soigneusement mis sur leur tête.

Quand le crime fut accompli, le Petit Poucet demanda à tout ses frères et soeurs de le rejoindre. Il s'était installé dans les bottes de 7 lieues de " l'Ogre ". Le petit Poucet se dirigea alors vers la sortie. Ce qui était incroyable, c'est qu'à chaque pas, les bottes de l'ogre se déplaçaient de plusieurs lieues. L'ogre tenta bien de les rattraper mais en vain. Quand il revint il s'aperçu avec horreur qu'il avait tué ses propres enfants. Il hurla de douleur avec sa femme ; mais il était trop tard !

Cette dernière séquence met en scène les risques de notre appétit de pouvoir. Si nous n'y prêtons pas garde, nous pouvons facilement nous laisser entrainer par cette pulsion de dominance. Il faut mettre " les bonnets " pour comprendre ce risque. Nous avons besoin de mobiliser une certaine attention, si nous ne voulons pas être entièrement animés par les pulsions de l'Ogre qui sommeillent en nous. Si nous les suivons aveuglément, sans discernement nous pourrions être tentés de mettre à mort notre propre Moi pour le remplacer par un Moi Idéal qui ne serait que le reflet de notre narcissisme malin. Cette quête illusoire ferait notre malheur. Notre vraie puissance se trouve ailleurs, " dans les bottes de 7 lieues " , c'est-à-dire dans notre capacité à nous déplacer librement dans le temps et l'espace. C'est-à-dire, peut-être à aller de l'avant sans rester accrochés au passé et d'une certaine façon à prendre de la distance.

4. Du souci de soi au souci de l'autre

Marie Françoise Collière, enseignante chercheuse en soins infirmiers, aujourd'hui disparue, nous propose une définition de la notion de soin qui à notre sens est tout à fait transférable à notre propos. Le soin dit-elle est différent d'un traitement. Prendre le soin de la vie n'est pas en effet réservée à une profession, c'est le premier art de la vie que tout un chacun peut et doit pratiquer. Le soin peut se définir comme une attitude d'attention à soi-même ou à l'autre.

Plongé dans les systèmes managinaires, l'individu est invité à "s'arracher" à lui-même pour se donner totalement à l'organisation. Dans cette fusion, il est violemment exclu de lui même. Pour Foucault, le Souci de Soi définit le rapport qu'un individu entretient avec lui-même. Il s'inscrit dans ce qu'il appelle les "arts de l’existence". Ceux-ci sont "des pratiques réfléchies et volontaires par lesquelles les hommes se fixent des règles de conduite, mais cherchent à se transformer eux-mêmes, à se modifier dans leur être singulier et à faire de leur vie une œuvre qui porte certaines valeurs esthétiques et répondent à certains critères de style" (Foucault, 1984). Cela passe par la reconnaissance de ses besoins et la capacité à créer des espaces pour les satisfaire sans nuire à autrui.

Il y a deux raisons au moins qui permettent de comprendre pourquoi cette capacité est difficile à éveiller :
- Elle n'est d'abord pas innée : Melanie Klein ne prétendait- elle pas qu'au départ, l'Homme naissait dans la "folie" parce qu'il était dans l'inconscience totale de lui-même
- Aspiré par la nécessité de la performance, le sujet néo-libéral ou hypermoderne est constamment entrainé à "l'extrême" de lui même.

Le retour sur soi passe par un double exercice :
- Prendre conscience de sa propre situation d'aliénation, d'expropriation de soi-même
- Pratiquer l'observation de soi-même en situation

Foucault dans le troisième tome de son " histoire de la sexualité " intitulée " Le Souci de soi " (1984) nous propose de développer notre "volonté de savoir en vérité ce que nous sommes et ce que nous sommes capables de faire". Pour y parvenir, il faut tenter de se comprendre en prenant le temps parfois "de s’éprouver, de s’examiner, de se contrôler".

Il faut bien convenir que nous ne sommes pas toujours en mesure de percevoir les conséquences de cet éloignement de soi. C'est souvent à travers son corps que les signes de cette exclusion se manifestent.

Pour savoir où vous êtes sur ce plan, faites le test du syndrome d'épuisement de Maslach

Cette attention à soi constitue un préalable à l'attention à l'autre. Elle conditionne la qualité du lien social. Sans cette attention à l'autre, l'autre ne devient qu'un objet utilitaire plus ou moins manipulable. Pour échapper à la violence de ce regard choséifiant, la philosophe Joan Tronto, créatrice de la théorie du "Care"), nous invite à nous astreindre à une éthique de l'altérité.

Elle nous suggère de pratiquer dans nos relations à autrui "une éducation à la vertu" . Celle-ci, déjà prônée par Aristote suppose "une proximité non seulement physique mais aussi morale à autrui" dont on partage le monde et se traduit par une forme de bienveillance de réciprocité qui dépend " de la situation dans laquelle se trouvent les individus". Hume parle de "sympathie étendue" et Adam Smith "sentiment de convenance", de "décence " ou de "sympathie morale" qui contraignent l’individu à tenir compte de la situation d' "autrui ". (Liane Mozère, 2004)

Pour faire le point sur vos capacités d'empathie, faites ce test

Du stress au Burn Out


Du temps pour soi (1) (David Servan Schreiber)


Du Temps pour soi (2) Comprendre l'interaction entre les représentations mentales et le cerveau émotionnel (David Servan Schreiber)


Du Temps pour soi (3) Exercice respiratoire de mise en cohérence du cerveau émotionnel (David Servan Schreiber)


5. Considérer l'Autre comme une personne : un impératif catégorique pour sortir de la barbarie ordinaire

Pour changer de regard, il nous faut une anthropologie. En effet, si nous en restons aux conceptions ordinaires de la gestion, l'Autre apparaît davantage comme une ressource que comme une personne. Le courant de la philosophie personnaliste fondée par Emmanuel Mounier, Fondateur de la Revue Esprit) peut apporter un appui pour passer à l'acte de cette éthique de l'altérité, si chère à Tronto. Mounier admet qu'il est difficile de définir la notion de personne. Il la définit par la négation : c'est tout ce qui n'est pas un objet dans une personne : " On s'attendrait à ce que le personnalisme commençât par définir la personne. Mais on ne définit que des objets extérieurs à l'homme, et que l'on peut placer sous le regard. Or la personne n'est pas un objet. Elle est même ce qui dans chaque homme ne peut être traité comme un objet " (Mounier)

Mais ce regard n'est pas donné. Il est au départ, du moins, le résultat d'une nécessité morale (Delassus). C'est ce qu'affirme Kant quand il écrit : Pour que ce regard soit possible, il faut commencer par agir de telle sorte que : " tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen." La personne est donc présentée ici comme l'être en qui s'incarne l'humanité dans sa dimension morale.

6. La nécessité de connaître les besoins relationnels de l'Autre

Mais si la reconnaissance de l'Autre en tant que Personne passe par une " nécessité morale ", celle-ci sera d'autant plus facilitée qu'elle repose sur une connaissance. Jacques Salomé, nous propose une anthropologie concrète en énonçant la Personne comme porteuse d'au moins 5 besoins fondamentaux. Il n'y a évidemment pas de hiérarchie dans cette liste :
1. Besoin de se dire
2. Besoin d'être entendu
3. Besoin d'être reconnu (tel que je suis)
4. Besoin d'être valorisé
5. Besoin de rêver

Effort permanent d'attention et connaissance sont des ressources précieuses pour parvenir à reconnaître l'Autre comme Personne.



4TM
Notez
Lu 7690 fois

Commentaires articles

1.Posté par Swanny MARTIN le 28/11/2014 11:27 | Alerter
Utilisez le formulaire ci-dessous pour envoyer une alerte au responsable du site concernant ce commentaire :
Annuler
L'aliénation dans les organisations se fait quasiement naturellement aujourd'hui, sans qu'on ne sent rende compte. L'organisation, qui connaît aujourd'hui le fonctionnement psychologique de l'homme, se sert de ces connaissnaces pour pousser à la productivité au travail. Celle-ci, en captant l'idé...

Nouveau commentaire :