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Les 4 Temps du Management - Réinventer le Management
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Les 4 Temps du Management

Le Temps des Valeurs

4.72 De l'autorité "disciplinaire" à l'autorité "subjectivante"


L'autorité : un concept polysémique à clarifier

Beaucoup de confusion entourent les termes d'Autorité et de Pouvoir. Selon les auteurs et les contextes,leurs définitions varient. Nous tenterons dans cette introduction de stabiliser les concepts. Nous suivrions assez volontiers la perception de Giorgio Agamben  qui considère qu'il s'agit d'un "mythologème" , c'est à dire d'un mot "valise" auquel chacun peut attribuer la signification qui lui convient. 

Pendant longtemps, l'autorité a été associée à la notion de commandement. C'est une conception considérée aujourd'hui comme réductrice. Hannah Arendt (172:123) définit la définit en l'opposant à la contrainte. "La violence fait les tyrans,la douce autorité les rois" disait Buffon.  On peut à partir de là la définir comme la capacité d'une personne à se faire respecter et ou à se faire obéir sans recourir à la force, à la persuasion, ou à la séduction.  

Sur le plan étymologique, le terme "auctoritas" est inséparable de la notion de  droits accordés à un monarque ou à un empereur d'exercer son pouvoir sur autrui. Il ne peut donc en théorie en abuser puisqu'il  est conditionné par la loi, elle même fruit d'une construction culturelle. Pour pouvoir s'exercer, l'autorité doit être reconnue. Elle est le résultat d'une désignation et s'inscrit dans un contrat dont celui qui en est porteur doit en être le garant. Ce contrat vise à garantir  l'ordre du monde, entendu comme "harmonie" entre les êtres. 

Michel Serres, reprenant les travaux du linguiste Emile Benvéniste ajoute une nuance en rappelant qu' “auctoritas” se rapporte à “auctor” et par là à “augeo”, soit la racine “aug” que l’on retrouve dans aug-menter, c’est-à-dire ajouter quantitativement et qualitativement.

En tant qu'auteur, l'autorité exprime la capacité à engendrer, créer de nouvelles regles; en tant qu'augmentation, elle  vise à amplifier autrui: "Celui qui a autorité sur vous est celui qui a le pouvoir de vous augmenter, d'augmenter votre intelligence, d'augmenter votre force, votre efficacité, de tirer de vous des fruits. Du coup, celui qui détient sur vous l'autorité n'est pas celui qui vous terrorise, qui vous écrase de violence, mais au contraire celui qui vous valorise."

Dans tous les cas, l'autorité n'existe pas en soi, elle toujours en relation avec autrui. Cela signifie qu'elle renvoie toujours à un sujet qui consent à obéir ou pas. Ce consentement à l'obéissance est liée à la légitimité détenue par celui qui occupe la place de l'autorité car elle est  toujours instituée.  

Si la relation d'autorité est fondamentalement asymétrique, elle s'inscrit cependant dans un système de règles qui fondent le vivre ensemble. En d'autres termes l'autorité ne peut faire l'économie du respect. La véritable autorité suppose donc l'altérité. Paradoxalement, ce principe ne semble pas avoir toujours franchi les frontières de l'entreprise; en témoigne les nombreux verbatims que nous recueillons actuellement dans les entretiens que nous menons auprès de salariés  dans le cadre de nos recherches. Certains propos  sont plutôt éloquents: " Le chef ici c'est moi ! Et vous faites ce que le chef vous dit", Vous n'êtes pas là pour penser mais pour exécuter","La direction devrait trancher et s'imposer", "Le courage managériale passe par la capacité à s'opposer aux salariés pour les placer devant le fait accompli", "il faut les faire plier", etc...

Tout cela témoigne d'une conception pulsionnelle de l'autorité. Dans ce modèle, il s'agit d'imposer à l'autre sa vision et d'obtenir son obéissance. Le psychanalyste Pierre Arel qualifie cette posture de "phallique". c'est une relation déséquilibré où l'un a le Phallus et comme le dit Lacan "Il n'y a pas pour tout le monde"...Quant à L'Autre, celui qui ne l'a pas, il est réduit à devenir un objet du désir de jouissance sans limite du premier. Après ça, c'est difficile d'être motivé et engagé quand la relation managériale vous a transformé en chose. 

Si cette interaction était supportée dans le passé, c'est qu'elle commençait dès l'enfance dans la structure familiale placée sous l'autorité du père et reprise par tous les représentants de l'autorité qui allaient ensuite lui succéder tout au long de son existence. Si elle ne l'est plus aujourd'hui c'est qu'il y a eu d'importants changements. 

Ce qui rend l'exercice de l'autorité si difficile à exercer c'est que celle - ci se confond toujours avec le pouvoir. Les deux sont enchevêtrés ensemble car l'autorité confère aussi un pouvoir sur autrui: "L'un ne va pas sans l'autre" résume Pierre Arel (Pouvoir et autorité:62 - Eres).

Le problème apparait quand le pouvoir entre en démesure avec l'autorité instituée ou mieux quand l'acteur utilise l'autorité qui lui est conférée pour mettre en action un pouvoir disproportionné avec la légitimité qui lui a été accordée. On parle alors d'hubris ; nous avons préféré utiliser le terme de "névrose managériale". 

L'autorité selon Michel Serres

Autorité et pouvoir : l'un ne va pas sans l'autre

Le terme de pouvoir vient du latin "potentia ou potestas" qui signifie "puissance". Son origine ne vient pas du social comme l'autorité mais de la nature.. Il est donc par  définition sauvage, archaïque, et toujours  à la recherche de sa satisfaction, donc de sa jouissance. Pierre Ariel nous propose de le considérer comme pulsionnelle. 

 Max Weber le désigne la capacité d’une personne à imposer sa volonté à une autre : « le pouvoir est toute chance de faire triompher au sein d’une relation sociale, sa propre volonté, même contre des résistances ; peu importe sur quoi repose cette chance. ». (Max Weber, Économie et société, tome. I, op. cit., p. 95.)
 
Pour sa part, Michel Foucault considère que le pouvoir est partout et qu’il s’exerce selon un jeu de relations inégalitaires et déséquilibrées, résultant d’une structure sociale différenciée. Des rapports de force multiples se forment et jouent aussi bien au travail, dans la famille, les institutions… Le pouvoir vient donc d’en bas. Il n’est ni extérieur ni surplombant mais produit des sujets « de l’intérieur » : les procédures, dispositifs et techniques du pouvoir investissent la vie de part en part et donnent son caractère « disciplinaire » à la société. (Michel Foucault, La volonté de savoir, Gallimard Paris, 1976)
 
Là où il y a pouvoir, il y a donc toujours un rapport de la force avec un dominant et un dominé (Donc résistances et contre – pouvoir) . Le pouvoir renvoie toujours à la violence et à la domination qu’on peut exercer sur autrui. 
« Nous entendons par "domination" […] la chance, pour des ordres spécifiques (ou pour tous les autres), de trouver obéissance de la part d’un groupe déterminé d’individus. Il ne s’agit cependant pas de n’importe quelle chance d’exercer "puissance" et "influence" sur d’autres individus. En ce sens, la domination peut reposer, dans un cas particulier, sur les motifs les plus divers de docilité : de la morne habitude aux pures considérations rationnelles en finalité. Tout véritable rapport de domination comporte un minimum de volonté d’obéir, par conséquent un intérêt, extérieur ou intérieur, à obéir » (Weber, 1995, p. 285 in Weber M. Économie et société, Paris, Éditions Pocket-Plon).
 

Quand le pouvoir rend fou par Bruno Jarroson

La construction du modèle d'autorité se construit d'abord dans la structure familiale

C'est Lacan avec le stade du miroir qui nous permet de comprendre comment se construit l'image de l'autorité. Elle relève essentiellement du processus d' identification. La période du complexe Oedipe est le moment privilégié de cette opération. Il diffère légèrement pour le garçon et la fille. 

Résumons la rapidement:
- Au départ, l'enfant s'identifie au désir de la mère, c'est à dire à ce qui lui manque. Il s'identifie à cet "objet" illusoire, en croyant pouvoir totalement la combler .  Si l'enfant en reste la, il ne pourra pas se différencier et donc exister par lui - même....Selon Freud, dans cette quête de fusion, la petite fille s'aperçoit qu'elle ne possède pas de phallus, elle le reproche à sa mère et du coup s'en distancie pour tenter de séduire le père. (Cette version a donné lieu à de nombreuses contestations que nous estimons justifiées (Voir plus loin)). 
- Le père, par sa présence et surtout par la place qu'il occupera dans la subjectivité de la mère va séparer l'enfant de la mère. L'enfant  comprendra, alors, qu'il n'est pas tout seul et surtout qu'il n'est pas tout pour la mère. Au départ,  il en éprouvera une certaine jalousie. Il aura même le désir de se débarrasser de ce personnage encombrant qu'est le père qu'il perçoit comme un rival, tout en éprouvant paradoxalement de la culpabilité. Simultanément, il ressentira aussi de l'admiration pour celui qu'il idéalise comme celui qui a la puissance de combler la mère, (à condition qu'il n'outrepasse pas ses droits). 
- Peu à peu, si père accorde suffisamment d'attention à la mère et réciproquement, l'enfant comprendra que la mère ne lui est pas exclusivement réservée, qu'il n'est pas tout pour elle, qu'il est 'Un parmi d'autres" et non que "l'Un est l'Autre". 
 
Il existe cependant une différence entre le complexe d'oedipe vécu par le petit garçon et celui qui est vécu par la petite fille. La petite fille, quant à elle, même si elle recherche toujours la tendresse de sa maman, elle s’en détache progressivement (non sans éprouver de l’ambivalence et de la culpabilité), se détourne d’elle (jusqu’à l’ignorer parfois totalement) pour tenter de séduire et de conquérir, pour elle seule, le cœur et les faveurs de son papa. Pour ce faire, elle va par exemple lui offrir des cadeaux, réclamer d’être portée dans ses bras, chercher à l’embrasser, se frotter contre lui, exprimer son désir de se marier avec lui quand elle sera plus grande, etc. 
Sur ce plan l'hypothèse du désir mimétique de René Girard nous parait plus pertinente. Si la fille désire le père c'est aussi parce qu'il est objet de désir de la mère. 

Dans cette histoire, Le père a ici une triple fonction : 
- Une fonction de séparation: il est le tiers qui vient se placer entre l'enfant et la mère 
- Une fonction d'interdiction en empêchant l'accès direct à la mère du fait de l'intérêt qu'elle lui porte 
- Une fonction de permission dans le sens où il autorise l'accès à l'Autre: celui qui n'est pas la mère; il ouvre au grand Autre qui est celui qui tout ce qui est différent de soi. 

Ces 3 fonctions  de séparation, interdiction, permission représentent ce que Lacan, en jouant sur les mots a appelé : "Le Nom (Non !) du Père". Cependant pour que celles - ci soient bien supportées par l'enfant, il importe que le père les incarne avec justesse et mesure. C'est cette posture plus ou moins bienveillante qui permettra une identification positive à l'imago paternelle. C'est également le moment où se formeront dans l'appareil psychique du sujet deux instances inextricablement associées: Le Surmoi et l'Idéal du Moi qui permettront le renoncement à capter définitivement le parent de sexe opposé;  dit en d'autres termes c'est l'instant où le sujet intègre "la loi" qui lui permet de faire société. Cela passe  par la sublimation permise par le refoulement de ses pulsions les plus archaïques. 

La personnalité autoritaire selon Théodore Adorno

Mutation des processus d'identification dans la famille post moderne

Aujourd'hui, les trois fonctions qui relèvent de la fonction symbolique du "Nom du Père subissent, depuis Mai 1968, un déplacement significatif: 
 
Les familles du XXIe siècle: Des réalités multiples
Entre 1975 et 2014, le nombre des familles monoparentales est passé de 9,4% à 23,3% (Source Centre d'observation de la société), ce qui représente deux millions de familles de ce type dont 82% restent composées d'une mère avec en moyenne 1,6 enfant. Un enfant sur cinq vit dans une famille monoparentale, contre un enfant sur dix en 1990. En tout, cela concerne 2,8 millions d’enfants. Il ne s'agit pas ici de l'absence physique du père mais de son effacement symbolique. Quel effet cela a t il sur l'enfant quand il  est confronté sans médiation et de façon prolongé  à l'amour exclusif d'une mère ? Comment l'enfant peut - il se construire quand la mère ne fait pas cas de la parole du père ou de celui qui en fait fonction ou pire encore la nie ou la dénigre ? 
 
L'évolution des rôles masculins et féminins ont également évolué vers plus d'indifférenciation:
Ce rapprochement peut par exemple se repérer dans la répartition des tâches qui sont certes encore inégalement distribuées mais plus réparties entre les deux sexes que dans le passé. Le philosophe Kogève parlent de dévirilisation des hommes tandis que Malek Chebel évoque la féminisation du monde

Le changement du statut de l'enfant  dans la société
La place de l'enfant dans la société va évoluer entre les années 1950 et aujourd'hui. Les sociologues, à ce propos,  distinguent deux périodes: 
1. La période des années dite de première modernité s'étale des années 50 à 70 . Au cours de celle - ci l’accent est mis sur les valeurs d’obéissance et d’autorité. L’éducation a pour fonction principale de faire inculquer aux enfants les règles de la société. Dans les repas quotidiens, l'enfant n'a pas droit à la parole. Il doit parler après les adultes.  
2. A partir des années 1970 apparaît la période dite de "seconde modernité" : l’éducation doit créer les conditions favorables à ce que l’enfant devienne « lui-même ». Pendant cette période, plus que d’imposer ou de transmettre des règles, l’important est que l’enfant développe sa personnalité. La parole de l'enfant doit être entendue et considérée. 

- La montée de l'idéal démocratique 
La culture démocratique est une culture d'égalité et de respect de la dignité d'autrui. Ce qui conduit à considérer la relation avec l'enfant sous le registre du même; ce qui  contribue  à réduire la distance dans les familles entre les enfants et les adultes qui sont désormais dans la nécessité de renoncer aux moyens coercitifs de domination. 
Cette conception repose sur  la  désacralisation de l'autorité paternelle et même du rôle du mari dans le couple. Cependant dans l'éducation ce processus de libéralisation ne peut s'accomplir de façon aussi évidente que dans les systèmes politiques du même nom. La dynamique est plus ambigüe car il faut trouver un équilibre pertinent entre cette posture égalitaire démocratique et la nécessité de transmettre un minimum de règles pour que l'enfant comprenne les conditions du vivre ensemble. 
 
En explorant l'histoire de l'autorité, il apparaît clairement que l'enfant est une construction sociale. Si nous le positionnons aujourd'hui comme un semblable c'est loin d'avoir été toujours le cas. Dans la société romaine par exemple, le "pater familias" jouissait d'un pouvoir absolu de vie ou de mort sur l'enfant, y compris à l'âge adulte et sur l'ensemble de sa famille (épouse, esclaves, etc..). Il était, par exemple,  en droit de rejeter un nouveau né en pratiquant "l'exposition" c'est à dire de l'abandon jusqu'à ce que mort s'en suive. Sénèque, un philosophe pourtant estimable, témoignait de cette conception violente quand il écrit : " Nous abattons les chiens enragés... nous noyons les enfants quand ils sont chétifs et anormaux...". La reconnaissance du statut de semblable est le résultat d'une longue histoire qu'il n'est pas dans nos possibilités de décrire ici. 

Les sociologue Ehrenberg (2010) s'interroge sur l'impact de ces changements de société sur les opérations psychiques mises en oeuvre lors du complexe d'Oedipe. Il fait l'hypothèse que l'affaiblissement de l'imago paternel qui caractérise la période post moderne va déséquilibrer les fonctions de répression et de sublimation au profit de cette dernière. 

Lacan l'avait déjà pressenti cela en déclarant que l'idéal du Moi l'emporterait sur le Surmoi. En étant mois actif, le Surmoi rendrait  le "refoulement incomplet du désir pour la mère". L'exaltation de  l'Idéal du Moi expliquerait par ailleurs la quête narcissique qui désormais caractériserait la nouvelle normalité. Celle - ci est assez facilement reconnaissable, elle fabrique des individus "habiles à contrôler les impressions qu'ils donnent à autrui, avides d'admiration (surtout!), mais méprisant ceux qu'ils parviennent à manipuler, insatiables d'aventures affectives susceptibles de remplir leur vide intérieur, terrifiés à l'idée de vieillir et de mourir" (Lasch, 1981:62)

Riachard Sennett est encore plus clair sur ce sujet : "Dans la vie moderne, les adultes doivent agir de façon narcissique pour être en accord avec les normes sociales. Car cette société est structurée de telle façon que l'ordre, la stabilité et les gratifications ne sont possibles que si les gens considèrent les situations sociales comme des miroirs du Moi" (Sennett,1979: 262-263)

Pour Vincent de Gaulejac (1991), cette quête de reconnaissance a une utilité pour l'entreprise moderne car elle constitue un levier beaucoup plus puissant  pour obtenir des comportements de haute performance que l'obéissance. Elle saura mettre en place des modes de management plus persuasifs en proposant à ses collaborateurs des expériences qui lui permettront de répondre à ce besoin  que Balint (2003) avait qualifié de " Défaut fondamental" en les confrontant en permanence à des défis très ambitieux ou des situations extrêmes. 

Le narcissisme moderne 

Quand les institutions scolaires prennent le relais des identifications familiales

Ce n'est pas seulement à travers la traversée du complexe d'Oedipe que le sujet construira sa représentation de l'autorité. Très vite, il va être plongé dans le monde où il rencontrera d'autres figures qui vont participer à cette construction., notamment dans l'institution scolaire. 

Robert DottRens, professeur de pédagogie de l'université de Genève résume bien la problématique: "L'école aujourdhui vise t elle le plein épanouissement de la personnalité humaine ? La réponse ne fait aucun doute: elle est négative...Le maître parle, les élèves écoutent; le maître commande, la classe obéit; le maître enseigne, l'enfant apprend. On a caractérisé cette conception de"pédagogique de la salive". C'est aussi "une pédagogie de la soumission" qui ignore en principe les besoins et les intérêts des enfants, comme elle ignore leurs caractéristiques mentales et affectives ainsi que leurs différences individuelles."

La psychiatre Gérard Mendel émet un jugement sans appel sur le système de l'enseignement scolaire tel qu'il a été distribué jusqu'à présent. Il considère que le but est de favoriser "la docilité des élèves, de les "bourrer" et non de les former, de décourager l'initiative, la découverte, la réflexion critique, l'apprentissage de la liberté". (Mendel, 1968:168). 

Selon lui, les conséquences sur le plan psychologique d'une telle conception de la relation enseignant - enseigné est destructeur de "confiance en soi (élaboré par l'Idéal du Moi post - oedipien) et fait régresser au stade anal les individus qui dans leur famille seraient parvenus au stade de maturité, dit génital. 

" Quel est donc d'une manière collective, l'influence de l'école sur les millions d'enfants contemporains ? Elle équivaut, et nous pesons les mots" à un grave traumatisme psychique, faisant régresser le sujet du stade dit génital auquel il est parvenu*, tout au moins virtuellement, au stade anal." (Mendel, 1968:160)

* Il n'est pas certain aujourd'hui que l'enfant dans nos sociétés  hyper moderne ait atteint ce stade ...(En témoigne l'émission de Super Nanny)

" Sur le plan des instances psychiques, l'Idéal du Moi correspondant à la maturation du narcissisme orginel grâce à l'identification paternelle est brisé. La confiance en soi, l'amour de soi hautement élaboré et sociabilisé, le climat interne psycho-affectif rendant possible l'apprentissage de la liberté et l'adaptation à la vie sociale, sont gravement lésés et le plus souvent irréversible". (Mendel, 1968:160). 


Cette conception normative de l'apprentissage remanierait en profondeur l'inconscient post - oedipien de toute une génération selon un modèle unique; ce qui génére "des individus qui vont réagir d'une manière uniforme et collective à l'Histoire" (Mendel). La baisse des charges sociales comme solution au rétablissement de la compétitivité des françaises en est un exemple. Peu remettent en cause cette absurdité. La baisse du coût du travail n'a jamais pu relancer l'économie; en témoigne tous les secteurs qui en ont bénéficiée. Aujourd'hui, le montant total des aides que les entreprises  ont reçues se montent à   près de 140 Milliards d'Euros (CICE, Crédits impôts recherche, etc..). L'économie est elle relancée ? La France a la croissance la plus faible d'Europe ! Le secteur du textile qui a largement été soutenu , sur ces mêmes principes,  entre 1990 et 2005 est passé de 589 000 salariés à 40 000. L'électronique française a connu la même "bérézina"! 

Le système scolaire classique a des effets sur le Moi des élèves rarement explorés. L'apprentissage ne relève pas seulement de la qualité des contenus mais de la manière dont le savoir est transmis.  Elle est en elle même apprenante. Cela pose la question à la fois des méthodes pédagogiques et à la fois de la posture des enseignants. 

Car l'apprentissage procède aussi de l'identification. Un retour sur la définition du terme "identification" est ici nécessaire  pour comprendre comment  les institutions et leurs représentants modèlent les imaginaires des individus. Lapalanche et Pontalis (1967:167) nous en donne la définition suivante : "Processus psychologique par lequel un sujet assimile un aspect, une propriété,un attribut de l'autre et se transforme partiellement, totalement ou partiellement sur le modèle de celui - ci. La personnalité se constitue et se différencie par une série d'identification". 

Si l'apprentissage relève aussi de l'imitation (Piaget), il est facile de comprendre comment les élèves, vont être marqués par la façon dont les enseignants qu'ils ont fréquentés durant les 10 et 15 années d'apprentissage  vont occuper la posture d'autorité. Gérard Mendel estime que c'est autour  de la figure anale de l'autorité qu'ils vont construire leurs représentations et leurs convictions. 

Le psychanalyste Karl Abraham rappelle que ce stade ne se caractérise pas par l'amour de l'objet mais par "le désir de l'asservir, de le retenir, de le maîtriser". Le Surmoi est héritier à ce stade "de la partie agressive de l'élan vers le père". Il est capable d'une certaine cruauté en produisant des exigences excessives. Dans cette phase, l'identification au père est insuffisante puisqu'elle ne se réalisera qu'au stade suivant dit stade oedipien. Le Moi est ambivalent. Il est coincé entre un élan amoureux et une agressivité envers la mère car elle est perçue comme intrusive. C'est dans cette ambiguïté selon Mendel que le pervers sadique restera prisonnier. C'est pour cette raison qu'il ne peut envisager la jouissance que sous l'angle de la souffrance. "Le sadique dessine sa relation à l'autre sur un papier millimétrique où l'abscisse et l'ordonnée représentent la sexualité et l'agressivité et ou chaque millimètre compte". (Mendel, 1968:109). Ce détour par le sadisme est intéressant parce qu'il resurgit parfois dans la relation manager - managé sous la forme de comportements persécutants ou harcelants. 

La relation objectale de type sadique se caractérise par 4 processus: 
- La projection : Le sujet projette sur autrui son agressivité surtout s'il est perçu comme plus faible 
- Le passage à l'acte de comportements socialement pathologiques, voire "hors la loi" (puisque le sujet n'a pas intégré la "Loi" du père)
- L'érotisation de la relation à travers la jouissance éprouvée dans cette relation par la souffrance imposée à autrui à la fois aimé et haiî
- L'interposition entre le sujet et l'objet d'un ordre artificiel d'une loi qui fait office de père, mais qui n'est pas la loi commune donnant à la relation cette dimension perverse qui ne caractérise par un jeu malsain autour des limites. 

Gérard Mendel note, par ailleurs, une certaine complémentarité entre les pulsions sadiques et les processus obsessionnels : "La scène sadique, par son caractère forcé, compulsif a tous les caractères des phénomènes obsessionnels. Ce n'est pas pour étonner puisque l'obsessionnel et le sadique sont tous deux deux fixés au stade anal de l'évolution de la libido". On comprend mieux, à partir de là, la dimension "tatillonne" de certaines pratiques de gestion ( ou Lean Management) quand elles sont mises en oeuvre à partir de ce point de régression. 

Pour résumer : 
Si le complexe d'oedipe a été bien traversé dans la structure familiale, les formes d'autorité institutionnalisées dans les espaces de formation font régresser les individus à un stade antérieur : le stade anal. C'est l'identification au père qui permet l'accès à l'autorité génitale fondée sur la reconnaissance de l'Autre comme différent de soi.

Malgré tout l'intérêt de ses travaux, il est difficile de suivre l'auteur quand il affirme que les individus ont pu accéder au stade génital dans leur structure familiale. Le déclin de la fonction du père rend aujourd'hui plus difficile cet accès. On assiste aujourd'hui à une double rupture : 
- Entre les générations elles - mêmes dans la mesure où les processus intrapsychiques qui ont été autorisés ne reposent pas sur les mêmes règles 
- Entre les entreprises et les idéaux démocratiques circulant dans la société toute entière dans la mesure où l'entreprise est resté accrochée à d'anciennes conceptions des relations de pouvoir. 
 

Stade génital et approche subjectivante du management

Le stade génital est la conclusion d'un périlleux processus de maturation. Il commence dans le "Moi Tout" pour accéder au "Non Moi" que Lacan appelle le "Réel". Quand le Moi parvient à faire ce chemin, il est en mesure d'appréhender "l'autre" comme autonome, ayant sa propre destinée. "Il acquiert alors la certitude confiante que le monde n'est pas transformable par une action violente mais par une action rationnelle". C'est également le moment où le sujet "devient capable d'acquérir des connaissances au contact d'un autre sans l'appréhender comme le substitut du père" (Mendel: 112). 

Le stade génital se caractérise donc par une certaine indépendance ou pour être plus juste une non dépendance relative quant à autrui. Ce que Groddeck décrit bien dans sa fameuse : "Aimes ton prochain comme toi même mais pas plus que toi même !". Cette non dépendance relative laisse un espace de liberté à l'autre qui lui permet d'exister dans sa différence. L'autre, alors n'est plus un simple objet de projection qu'on entraîne dans ses fantasmes pour apaiser on ne sait quelle souterraine souffrance ou projet égotique, il devient un sujet à part entière avec lequel il s'agit d'entrer en interaction. Et surtout il est Autre différent de soi !. 

Un manager sain permet  à l'autre d'exister en tant que sujet, il est capable de supporter qu'il puisse dire "Je", même si ce "Je" est en contradiction avec le sien. Le manager névrosé, au contraire impose à l'autre d'entrer dans son monde. Il exerce sur autrui une violence dans le but de le réduire à n'être que l'objet de ses fantasmes. 

L'effort démocratique du Groupe Hervé par Thibaud Brière

Bibliographie

Ollivier B (1995), L'acteur et le sujet, Desclée de Brouwer
Enriquez E. (1997), Les jeux du pouvoir et du désir dans l'entreprise
Mendel G; (1968), La révolte contre le père, Payot
Renaut A. (2004), la fin de l'autorité, Champs essais
DE Swarte T., ( 2001), Psychanalyse, Management et dépendances au sein des organisations 
Bilheran A. (2016), L'autorité Psychologie et psychopathologie, Armand Colin 
Laplanche et Pontalis (2007), Vocabulaire de psychanalyse, Puf
Enriquez E. (2007), Les figures du pouvoir, Eres
Calonne C. (2005), Les violences du pouvoir, L'Harmattan
Kaês R. (1996), Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels, Dunod 
Roche L. (1995), Psychanalyse, sexualité et management, L'Harmattan
Figuer A. (2003), Le pervers narcissique et son complice
 

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Commentaires articles

1.Posté par Bismuth le 21/02/2020 11:21 | Alerter
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Superbe texte. Merci

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