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Les 4 Temps du Management - Réinventer le Management
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Les 4 Temps du Management

Le Temps des Valeurs

4.2 L'innovation dans l'entreprise EDF-GDF : anatomie d'un succès

L'entreprise EDF-GDF est un véritable laboratoire d'innovations sociales souvent méconnu. Des idées intéressantes pour créer une dynamique de modernisation sociale dans nos entreprises.


1. Les enjeux concurrentiels de l'entreprise EDF-GDF

L'entreprise EDF-GDF, comme beaucoup d'entreprises du même type, est aujourd'hui confrontée à des mutations qui ne sont pas exemptes de paradoxes.

Certaines directives européennes l'obligent, en effet, à s'orienter définitivement vers une logique de marché. C'est la fin d'un monopole dans des activités traditionnellement associées à une notion de service public. D'autres secteurs comme celui des télécommunications ou de la distribution du courrier sont aujourd'hui dans des enjeux du même type.

Concrètement, cela va se traduire, pour EDF-GDF, par la mise en concurrence de certaines de ses activités, comme la commercialisation de l'énergie. Cette logique impacte encore plus particulièrement l'activité GDF qui va devenir une entité distincte dans le but de faciliter son rapprochement avec le groupe Suez avec lequel des synergies sont possibles.

Parallèlement, l'entreprise a l'obligation de conserver la totalité de son personnel qui conserve les avantages liés à la fonction publique.

Par ailleurs, le gouvernement français est intervenu, à plusieurs reprises, pour suspendre une augmentation des prix liée à la flambée des cours du pétrole.

L'ensemble de ces contradictions pourrait compromettre sérieusement les comptes de résultats de l'entreprise, s'il n'y avait pas deux avantages concurrentiels décisifs qui préservent l'entreprise.

- Au niveau de la filière " Electricité ", l'activité EDF est moins affectée que ses concurrents par la hausse du coût du pétrole car la France a opté pour une production d'énergie électrique en utilisant l'énergie atomique.
- Au niveau du Gaz, l'essentiel des revenus de l'entreprise GDF vient à 75 % de la mise à disposition de ses infrastructures aux autres distributeurs de gaz.

Dans un univers aussi complexe, l'entreprise doit faire preuve d'une certaine intelligence collective. C'est par les idées qu'elle peut espérer améliorer de façon permanente et constante ses processus de fonctionnement et ses offres de service. La créativité des acteurs devient alors une ressource à valoriser au même titre que les investissements sur les ressources matérielles. Mais si la théorie est relativement facile à énoncer, la mise en œuvre est généralement plus difficile.

Ce qui est intéressant à travers l'analyse du cas d' EDF-GDF c'est de voir comment l'entreprise a réussi à mettre en place une véritable dynamique d'innovations permanentes et à su passer du discours aux actes. A travers cette description, le lecteur pourra constater que l'entreprise EDF-GDF confirme bien qu'elle est un étonnant laboratoire d'innovations sociales.

2. Un principe universel dans l'entreprise : toute idée nouvelle est respectable

Quand on parle d'innovations, on a souvent tendance à penser à de grandes découvertes. Pour EDF, toutes les innovations sont bonnes à prendre. Les innovations " ordinaires " comme les innovations plus spectaculaires. Il est important de ne pas établir de hiérarchie. Le génie ne s'exprime pas toujours dans un premier temps dans de grandes innovations.

Un des salariés de base, par exemple, à conçu un nouveau fil de fermeture des compteurs plus simple à installer et plus esthétique que l'ancien. Il n'imaginait pas que désormais, grâce à sa modeste invention, tous les compteurs dans le monde seraient désormais équipés de ce filament. (Et pas seulement ceux de EDF-GDF !)

3. Le rôle des managers de proximité dans l'innovation

Pour capter ces énergies nouvelles, l'entreprise à mis en place un système de recueil des propositions en s'appuyant sur les managers de proximité qui sont chargés d'enregistrer ces suggestions et de les présenter à un comité national. Ce comité sélectionne les meilleurs projets et organise une sorte de festival interne de l'innovation avec la remise de prix. Les innovations retenues seront également valorisées par un système de primes collectives et individuelles.

4. Mise en place d’un système de reconnaissance : institutionnaliser l'innovation

Un des leviers de l'innovation est la reconnaissance. Dans les systèmes tayloriens, l'innovation est vécue comme une transgression. Elle repose, il est vrai, sur une certaine impertinence. La reconnaissance officielle de cet effort de créativité fonctionne comme un élément amplificateur.

Les entreprises tayloriennes et plus encore fordiennes, en standardisant à l'extrême les processus, ont fait régner la terreur dans les esprits. La vertu principale qui est valorisée, si cela en est une, est la soumission à l'autorité.

Or l'innovation et la créativité sont indissociables de la liberté. Elles relèvent en réalité de la logique de don. Ne dit-on pas " donner ses idées " ? On ne partage pas facilement ses idées sous la contrainte.

Pour avoir des idées, il faut autoriser à minima " l'utopie ", le rêve, le désir. Pour innover, il est parfois nécessaire de sortir des routines toutes faites.

Il est donc important que l'entreprise fabrique des événements symboliques qui autorisent l'imaginaire collectif à sortir des routines imposées par la rigueur " surmoïque " du cadre.

5. Favoriser la construction d'une cité intelligente et démocratique

L'innovation suppose la libre pensée. Celle-ci n'est pas vraiment possible sans la libre parole. EDF-GDF met en place régulièrement des groupes d'expression collectifs appelés " Les mises en débat " qui invitent un certain nombre d'acteurs de l'entreprise à échanger sur un thème prédéterminé ou à partir de leurs propres préoccupations. Ces groupes peuvent être catégoriels ou inter catégoriels. Le temps de ces rassemblements se fait dans le cadre d'une demi-journée à une journée en mode dit d'hyper groupe, c'est-à-dire pouvant rassembler en moyenne 50 à 80 participants.

Concrètement les participants se mettent en groupe de 6 autour d'une table et chaque groupe, après un échange de 50 minutes environ, est invité à désigner un animateur qui va restituer au grand groupe les réflexions évoquées.

Contrairement à l'idée reçue, la formule d'hyper groupe a un impact, en terme d'acculturation, beaucoup plus profond que celle des petits groupes. Gustave Le Bon et plus encore Freud, dans " Malaise dans la Civilisation " en explique les raisons. Dans un grand groupe, il y a une dimension émotionnelle beaucoup plus forte que dans un petit groupe.

D'autres méthodes d'inspiration socio analytique sont également utilisées. Il s'agit alors de mélanger les participants selon des règles de métissage savantes, l'objectif étant de favoriser l'agir communicationnel (Habermas) et de réduire les clivages fantasmatiques entre les acteurs à travers des " objets transitionnels " que sont ces réunions.

A travers ces événements, s'inscrivant dans ce que nous avons appelé " le temps culturel ", une communauté se réaffilie au sens commun et peut ainsi recréer du lien social, condition sine qua none de la coopération.

La pression du quotidien fait généralement éclater cette conscience du sens commun. Il est absolument essentiel de recréer des espaces temps permettant sa recomposition.

Sur le plan de la subjectivité, on peut distinguer généralement 3 étapes dans le vécu de ces groupes :

- Une première étape, souvent cathartique, qui passe par une expression des difficultés ressenties dans le cadre du travail.

- Une deuxième phase qui est une rationalisation des émotions ressenties et débouche généralement par des suggestions.

- MB Directeur Général Adjoint d'une structure régionale rassemblant 500 salariés en rajoute une troisième : la projection vers le futur. Pour lui, il est important de ne pas seulement en rester au stade cathartique qui est articulé autour du vécu passé, ni au stade de la rationalisation qui enferme les acteurs dans le présent. Il estime qu'il est plus dynamique de mettre en perspective les problèmes évoqués par rapport à une dynamique globale d'entreprise en devenir. C'est pourquoi il termine régulièrement ces rencontres par un exercice de visionning. Il demande aux participants de fermer les yeux et d'imaginer dans un premier temps, ce que sera leur entreprise en 2010, puis dans un deuxième temps, il leur demande d'imaginer les actions à mettre en œuvre pour y parvenir.

6. Favoriser la régulation permanente des acteurs à travers la méthode des Diagnostics Sociaux préventifs

L'entreprise EDF-GDF a mis en place, il y a quelques années, une démarche de baromètre social afin de mesurer le climat de l'entreprise et d'identifier de façon préventive les préoccupations des salariés. Ce baromètre balaie un certain nombre de variables " RH " assez comparable au dernier palmarès des entreprises où il fait bon vivre en France. Cette démarche, pionnière en son temps, n'a pas donné dans un premier temps les résultats escomptés. Les constats opérés étaient certes pertinents mais ne se traduisaient pas par des plans d'actions suffisamment opérationnels.

La démarche " Diagnostic Social Préventif " a consisté à reprendre les synthèses du baromètre général et à revenir les faire valider par les équipes opérationnelles afin de l'enrichir et de la traduire en plan d'actions structuré, révisé chaque année.

L'intérêt de cette démarche est de permettre une certaine régulation émotionnelle et d'éviter ainsi une intériorisation trop grande des conflits.

7. Les évaluations collectives par équipe

L'évaluation du professionnalisme est souvent assimilée à un jugement de valeur, surtout si elle est individuelle. Elle renforce par ailleurs la dimension hiérarchique. Pour sortir de ce dilemme, des expériences d'évaluation collective ont été réalisées à partir d'objectifs donnés à une équipe ou à une unité.

Cette démarche n'exclut évidemment pas la pratique des entretiens individuels mais la relativise et l'enrichit en restituant cette question par rapport à des enjeux plus globaux.

8. Le DIF (Droit Individuel de la Formation) avant l'heure

Certaines unités régionales ont mis en place dès les années 2001 un droit Individuel de la formation de 20 h. La méthode est assez originale pour être évoquée en quelques lignes. Un groupe de travail est crée qui établit de manière négociée une liste de formations dans laquelle les salariés peuvent puiser pour utiliser leur droit de tirage. Cette liste constitue une base qui réunit les attentes de toutes les parties prenantes. L'investissement formation est donc le résultat d'une concertation.

9. Contribuer au développement de la sérénité des collaborateurs

Une hotline d'assistance a été mise en place pour tous les salariés d'une unité régionale dont la vocation est l'aide à la résolution des problèmes de la vie quotidienne. Par exemple un enfant malade qui nécessite l'arrivée dans les plus brefs délais d'une baby Sitter; des problèmes de dégâts des eaux, un conflit de voisinage, etc. En fournissant aux salariés une aide concrète pour résoudre rapidement leurs problèmes personnels, les initiateurs de cette action ont pu constater une diminution significative de l'absentéisme et une amélioration du taux de satisfaction des salariés.

Conclusion

Le sociologue Norbert Alter considère que les conditions de l'innovation sont avant tout sociales. Pour innover, il est nécessaire d'avoir un lien social de qualité. Un bon climat social favorise les échanges, le partage des idées et la coopération.

En proposant aux salariés des " objets de négociation " non dramatiques, on leur permet de concevoir que le groupe est plus efficient que la démarche individuelle. Lorsque l'entreprise est trop centrée sur la réussite des individus, cela conduit à une certaine compétition sociale qui est peu compatible avec la logique de don. La compétition entre les acteurs génère souvent une certaine rétention d'informations et surtout beaucoup de jeux politiques coûteux en temps et en énergie.

EDF-GDF est une entreprise innovante sur le plan social à plus d'un titre. C'est elle qui déjà avait initié la démarche de Gestion Anticipées des Emplois et des Compétences dans les années 1985, permettant d'offrir à ses salariés une véritable navigation professionnalisante. Une fois de plus, à travers ces diverses expérimentations réussies, elle constitue une référence dont beaucoup pourraient avec profit s'inspirer…

Votre organisation est-elle prête pour l'innovation ?

Bibliographie conseillée




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